Dans un Maroc agité par la contestation nationaliste, les Français se sont résolus à se débarrasser du très impopulaire Mohammed Ben Arafa. Celui que les Marocains considèrent comme un usurpateur abdique le 1er octobre 1955. À la fin du même mois, le pacha Thami El-Glaoui, qui avait pris la tête des conjurés de 1953, se soumet à Mohammed Ben Youssef en exil à Madagascar. Plus rien ne semble s'opposer au règlement de la question marocaine et au retour du souverain proscrit. Les accords de La Celle-Saint-Cloud, signés le 5 novembre, prévoient l'accès du pays au statut d'État indépendant, « uni à la France par des liens permanents d'une interdépendance librement définie et consentie ». C'est cette fiction d'une interdépendance que le reportage des Actualités françaises s'emploie à faire vivre. Le 16 novembre, Mohammed Ben Youssef atterrit à Rabat « après deux années d'absence », selon les mots pudiques du commentateur qui ne s'attarde guère sur les circonstances de la déposition du sultan. Il insiste, au contraire, sur l'amitié le liant à la France qui a affrété l'appareil et organisé l'escorte militaire. S'agit-il de faire oublier que le pays fut le principal instigateur de son éviction ? Sur place, la famille royale est accueillie par une marée humaine qui brandit le portrait du sultan martyr, devenu une icône de la résistance au colonisateur. Le résident général André Dubois venu l'accueillir à l'aéroport est quasiment noyé par une population enthousiaste qui déborde le service d'ordre et fait peu de cas du nouveau représentant de la France. Au sein d'une foule essentiellement masculine, se distinguent quelques figures de femmes, dont un groupe debout sur le toit d'un bus. Mohammed Ben Youssef a choisi d'arborer un tarbouche watani et une djellaba de couleur à la place du vêtement sultanien blanc. Cette posture de simplicité ne peut que contraster avec celle d'un Mohammed Ben Arafa constamment préoccupé d'imposer une légitimité contestée. Si la djellaba du sultan s'ouvre sur une chemise et une cravate, la dominante du costume est bien maghrébine, quand le prince héritier Hassan et son frère Abdallah allient habit européen et fez : plus que d'une opposition, il importer de parler d'une « complémentarité symbolique » soigneusement travaillée, comme a pu le montrer l'historien Omar Carlier.