Première célébrité planétaire de l'ère de l'internet, le pirate informatique devrait bientôt retrouver son Australie natale.
La longue incarcération de Julian Assange a pris fin. Libéré lundi de la prison britannique de Belmarsh où il était détenu depuis cinq ans, le fondateur de WikiLeaks s'est envolé pour la Thaïlande, puis pour les Mariannes du Nord, à la faveur d'un accord complexe négocié avec la justice américaine. Sur l'archipel, territoire des États-Unis dans l'océan Pacifique, il comparaît mercredi devant un tribunal fédéral américain.
Assange a accepté de plaider coupable de complot en vue d'obtenir et de distribuer des informations classifiées, l'un des dix-huit chefs d'accusation retenus contre lui par la justice américaine. En échange, le juge devrait le condamner immédiatement à 62 mois de prison, sentence correspondant à la durée de son incarcération au Royaume-Uni. Sa peine étant déjà purgée, Assange pourra alors s'envoler pour l'Australie, évitant ainsi une condamnation pour les dix-sept autres charges, notamment celles d'espionnage, qui auraient pu lui valoir 175 ans de prison et une incarcération à vie aux États-Unis.
Cet accord, longuement négocié entre l'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni, a permis de trouver une solution à l'imbroglio juridique représenté par le cas Assange, et à l'intéressé de retrouver la liberté après douze ans de réclusion forcée, puis de détention.
Héros de la liberté d'expression persécuté pour ses partisans, gourou libertarien irresponsable ou même traître pour ses détracteurs, Julian Assange est l'une des premières célébrités mondialisées de l'ère de l'internet. Il avait émergé du monde de l'ombre des pirates et des hackeurs de l'internet en fondant en 2006 le site WikiLeaks. Organisation d'un genre nouveau, fonctionnant comme une boîte aux lettres confidentielle, c'est une organisation à but non lucratif délocalisée, enregistrée en Suède, et basée en Islande, fonctionnant grâce à un réseau de bénévoles. À sa tête, Assange se voit comme un redresseur de torts, nomade toujours entre deux avions et entre deux pays, combattant apatride et adversaire de la grande puissance maléfique d'un monde globalisé : les États-Unis.
Rupture avec les médias
Il accède à une notoriété planétaire en diffusant une vidéo filmée en 2007 en Irak par un hélicoptère américain Apache, qui tue par erreur onze civils irakiens, dont deux employés de l'agence Reuters. Assange se voit comme un journaliste, permettant à ses lecteurs de vérifier les sources sur lesquelles il se base. À cette première fuite vient vite s'ajouter l'énorme base de données piratée par un soldat américain en Irak, Bradley Manning, qui transmet à WikiLeaks un demi-million de documents confidentiels émanant de l'armée américaine et des différentes agences de renseignement des États-Unis.
Mais la personnalité d'Assange ne s'accommode pas de règles du journalisme. La coopération initiale de WikiLeaks avec plusieurs journaux à travers le monde, qui s'assurent que les documents publiés ne compromettent pas ou ne mettent pas en danger des personnes, vole vite en éclats. Assange rompt avec ces médias, et publie l'ensemble des documents secrets, où figurent les noms d'Afghans et d'Irakiens ayant fourni des informations aux forces américaines et de leurs alliés, ou de membres de l'opposition ou des défenseurs des droits de l'homme dans des dictatures.
Les premiers problèmes judiciaires de Julian Assange commencent à peu près simultanément en Suède, où il réside temporairement. Deux femmes, qui découvrent qu'il mène avec elles des liaisons parallèles, l'accusent de viol et d'abus sexuels. Assange nie ces accusations. Persuadé qu'il s'agit d'une manœuvre pour l'extrader vers les États-Unis, il fuit en Grande-Bretagne.
Combat personnel
La justice suédoise réclame son extradition. La justice britannique le place d'abord en liberté sous caution. Astreint au port d'un bracelet électronique, Assange est d'abord hébergé pendant un an par Vaughan et Pranvera Smith, les fondateurs du Frontline Club, le club londonien des correspondants de guerre, qui l'accueillent dans leur résidence du Norfolk. Mais lorsque son appel contre son extradition vers la Suède échoue, Assange se réfugie à l'ambassade de l'Équateur à Londres, où il demande l'asile politique. Ses sept années d'auto-exil dans une pièce de l'ambassade sont l'un des chapitres les plus insolites de son histoire.
Le lanceur d'alerte, reclus dans l'ambassade d'Équateur, ressemble à présent à un prophète, les cheveux longs, barbu. Il continue de mener un combat presque personnel contre les États-Unis. En 2013, WikiLeaks vient en aide à Edward Snowden, ancien employé du renseignement américain qui a révélé l'ampleur de l'espionnage pratiqué par la NSA, mais aussi et entre autres les méthodes du renseignement occidental face aux terroristes. Sur les conseils d'Assange, Snowden se réfugie à Moscou.
En 2016, en pleine campagne électorale américaine, WikiLeaks diffuse les courriels de campagne d'Hillary Clinton, après qu'ils ont été selon le renseignement américain piraté par la Russie. En 2017, d'autres documents confidentiels de la CIA sont publiés. La justice américaine ne lâche pas prise. Obama a pardonné au soldat Manning, devenu depuis une femme, Chelsea. Mais un Grand jury a recommandé des poursuites contre Assange aux termes de la loi sur l'Espionnage de 1917. Assange risque désormais la prison à vie s'il est condamné par un juge américain.
La figure ambivalente d'Assange, la mobilisation internationale qu'il suscite, et le fait qu'il n'ait pas fait défection à Moscou, jouent cependant en sa faveur. Trump puis Biden évoquent la possibilité de lui pardonner. De discrètes négociations tripartites entre l'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni sont menées, alors que les trois pays se rapprochent en 2021 au sein d'une nouvelle alliance, l'Aukus. En 2022, le nouveau premier ministre australien Anthony Albanese qui a fait de sa libération une priorité, œuvre en coulisse pour résoudre une affaire qui porte surtout atteinte à l'image des pays concernés. « Quelle que soit l'opinion que l'on peut avoir sur les activités d'Assange, l'affaire traîne depuis trop longtemps, » dit-il. Assange, qui s'est envolé de Londres accompagné du Haut-Commissaire australien en gage de garantie, aura finalement obtenu sa liberté grâce au pays qu'il avait quitté voici bien longtemps.