L’un des derniers peuples afro-asiatiques refuse l’assimilation forcée.
Alors que New Delhi leur dénie le droit à l’autodétermination, des journalistes ont réussi à rencontrer les Jarawas pour leur donner la parole.
Les Jarawas sont des chasseurs-cueilleurs. Ils vivent depuis des dizaines de milliers d’années sur les îles Andamans en Inde. D’après des études récentes, ils auraient fait partie des premières migrations humaines depuis l’Afrique vers le reste du monde, il y a environ 70,000 ans. Mais cela fait une dizaine d’années seulement qu’ils sont entrés en contact avec les Indiens. Depuis leur situation s’est considérablement dégradée. Des femmes ont été enlevées et violées par des Indiens. Les Jarawas sont allés se plaindre à plusieurs reprises auprès des autorités des Andamans, en vain.
Les Jarawas sont également victimes de safaris humains, organisés par les agences de voyage locales. Ils se déroulent le long de l’Andaman Truck Road, une route construite illégalement et qui traverse leur territoire.
Des dizaines de véhicules, escortées par l’armée indienne l’empruntent quotidiennement pour prendre des Jarawas en photos.
Pourtant, il est interdit de pénétrer sur leur territoire sous peine de prison. La réserve est sous le contrôle conjoint de l’armée, de la police locale et des gardes forestiers de l’AAJVS, un organisme d’état dépendant du ministère des affaires tribales indien. Une mesure censée protéger ce peuple fragile. Les Jarawas ne sont plus que 420.
Mais cette interdiction a aussi un effet pervers. Celui d’empêcher les Jarawas de s’exprimer au sujet de leur avenir. En 2013, Bishnu Pada Ray, le député des Andamans a affirmé dans la presse qu’ils avaient exprimé le désir de rejoindre la communauté indienne. Or jusqu’à présent, personne n’est allé leur demander si tel était le cas.
Alexandre Dereims et Claire Beilvert, un journaliste et une photographe de presse français, sont parvenus à les rencontrer pour leur poser la question. Ils ont outrepassé l’interdiction de pénétrer dans la réserve. Ils ont pris toutes les précautions nécessaires afin de ne pas leur transmettre de maladies. Les Jarawas les ont autorisés à rester quelques jours avec eux afin de réaliser des interviews. C’est la première fois que des membres de ce peuple en danger parlent au monde extérieur.
Leur réponse est sans ambiguïté. Les Jarawas refusent d’être assimilés.
« Votre monde est mauvais pour nous, on ne l’aime pas. Il y a trop de gens, trop de bruit, pas de paix, on n’aime pas ça. On ne veut plus avoir d’interaction et être trop proche de votre monde. On veut rester comme on est. Ici, c’est chez nous, c’est là que l’on veut vivre. », explique Abé, l’un des chasseurs.
Leur mode de vie a commencé à changer irréversiblement. Certains portent des habits. Ils possèdent des lampes torches, des outils, des ustensiles de cuisines. Des objets qui leur sont donnés par les gardes forestiers. Mais les Jarawas sont aussi victimes du braconnage. En effet, s’il est interdit de pénétrer sur leur territoire, tous les jours, des dizaines de braconniers viennent chasser sur leurs terres, en toute impunité.
« Il y a des braconniers qui viennent avec des armes pour nous tirer dessus. Ils viennent pour nous voler. Ils cherchent à nous faire peur. Ils veulent nous acheter des cochons sauvages. Ils posent des pièges à cochons. Ils tuent tous nos cochons. Parfois, ils nous donnent un peu d’argent ou des habits. C’est comme ça qu’ils pillent notre gibier. Avant, on ne mangeait que des cochons. Mais il n’y en a presque plus. On a été obligé de chasser les daims pour manger. On ne sait plus quoi faire. On s’asseoit et on réfléchit à tout ça. On y pense tout le temps. », nous révèle Outa, un autre membre du clan.
Même les daims commencent à se faire rares. Les braconniers forcent les Jarawas à chasser pour leur compte, une quinzaine de bêtes à la fois. La viande sauvage est revendue sur les marchés locaux. Rien de tout cela ne serait possible sans la complicité des gardes forestiers de l’AAJVS, l’organisation gouvernementale en charge de la protection des Jarawas.
« Les braconniers nous donnent du tabac et ils veulent nous apprendre à chiquer. Ce n’est pas bon pour nous. Ils nous donnent de l’alcool. On n’en veut pas non plus. Mais ils essayent quand même de nous faire boire. On n’en veut pas, c’est mauvais. Mais ils essayent de nous influencer. C’est comme ça dans votre monde. »
L’alcool a commencé à faire des ravages dans la communauté des Jarawas. En quelques années, un autre peuple afro-asiatique des Andamans, les Onges, a quasiment disparu. Après avoir été assimilés de force par l’état indien, certains d’entre eux ont été empoisonnés par de l’alcool frelaté que des braconniers leur avaient donné.
C’est la chronique d’une disparition annoncée, d’une assimilation forcée. Les Jarawas, affamés, n’auront bientôt plus d’autre choix que de sortir de leur territoire pour mendier de la nourriture le long de la route.
Pourtant dans sa charte, l’AAJVS, l’agence indienne en charge de la préservation des Jarawas, a écrit que sa mission est de « « satisfaire à son obligation et sa responsabilité de conserver l’écologie et l’environnement de la réserve constituée par le territoire tribal et de renforcer le soutien aux indigènes adivasi (les Afro-asiatiques) afin de leur permettre de continuer de vivre tel qu’ils l’entendent et de préserver ainsi un patrimoine unique pour l’Inde et pour le monde. »
Les journalistes tirent la sonnette d’alarme. New Delhi a récemment décidé de faire de la capitale des Andamans, Port Blair, le plus grand port sur l’océan indien. Le gouvernement nationaliste de Narendra Modi veut booster le potentiel touristique de ces îles devenues l’équivalent des Seychelles ou des Maldives auprès de la nouvelle classe moyenne indienne. Il est devenu urgent de se poser la question de la survie du plus ancien peuple d’Asie.
Alexandre Dereims et Claire Beilvert ont lancé une pétition en ligne pour forcer le gouvernement indien a faire respecter l’ordonnance de la cour suprême indienne de 2013 de fermer l’Andaman Truck Road. Ils demandent également à ce que le territoire des Jarawas soit sanctuarisé et que l’AAJVS communique régulièrement sur le situation des Jarawas.