Le 23 octobre 2017, le roi Mohammed VI donnait le coup d'envoi des travaux d'extension de la ligne 2 du tramway de Rabat-Salé, six ans après sa mise en service en 2011. Un projet structurant en matière d’infrastructures routières ayant démontré son efficacité auprès des Slaouis et des Rbatis.
Mais contrairement aux idées reçues, ce mode de transport implanté dans la capitale et sa ville jumelle, géré par la société du Tramway de Rabat-Salé (STRS), filiale de l'Agence du Bouregreg, n’est pas le tout premier tramway qu’a connu le royaume. En septembre 1917, en marge de la Foire de Rabat, la France coloniale installait le premier tramway à traction vapeur et essence aux profits des participants à cette grande messe. Le projet se transformera en un mode de transport incontournable pour relier les différents quartiers de la capitale, nouvellement choisie, avant que l’exploitation du réseau prenne fin en 1930.
Le tramway Rbati devant la Foire de Rabat en 1917.
En 1912, Rabat devient officiellement la
capitale du royaume chérifien.
Ce projet s’inscrivait dans la vision du Général Hubert Lyautey, à qui on doit notamment le transfert de la capitale du Maroc de Fès vers Rabat. Ville fondée en 1150 par les Almohades, complétée et baptisée Ribat Al Fath (le Camp de la Victoire, en français) par Yacoub El Mansour, l’actuelle capitale est l’une des cités millénaires du royaume chérifien ayant connu des hauts et des bas aux fils des siècles.
Ce n’est qu’en 1912, lors de l’instauration du Protectorat français, que la ville est choisie comme capitale administrative du Maroc. Tournée vers l'Atlantique, accessible via la mer et présentant un climat très différent de celui de la capitale Fès, Ribat Al Fath séduit donc le premier commissaire résident général du protectorat français au Maroc. A long terme, la France coloniale savait que la population de la nouvelle capitale s'accroîtrait rapidement dès les premières années. La modernisation de la ville s’impose. «Les occupants français modernisent la ville tout en lui conservant son caractère mauresque, prenant soin à quelques exceptions près de ne pas détériorer ce magnifique patrimoine», raconte-t-on sur le blog «Rabat de Lyautey à Mohammed VI». C’est dans cette optique que la nouvelle capitale, à l’instar de Casablanca et de Fès, bénéficiera dès 1917, d’un événement réservé jusque-là aux deux cités.
Nous sommes en 1915. Trois avant après la signature du «Traité pour l'organisation du protectorat français dans l'empire chérifien», la France coloniale organisait une première exposition à Casablanca. C’est du 5 septembre au 5 novembre que l’«Exposition franco-marocaine de Casablanca» se déroule dans la capitale blanche. «L’idée est, en pleine guerre mondiale, de montrer aux Marocains que l’énergie et l’ingéniosité françaises demeurent intactes. Le but est double : politique et économique», raconte-t-on sur le blog Ouedaggai.
«Politiquement, il s’agit de combattre la propagande allemande au Maroc en montrant que malgré la durée du conflit en Europe, la puissance française est la même (…) Économiquement, il s’agit de faciliter, à la production française, la conquête du marché marocain d’où la guerre a évincé en grande partie le commerce allemand.»
Un événement qui rencontrera un franc succès, au point que les autorités coloniales décideront de reproduire l’événement à Fès, à travers la «Foire d’échantillons» en octobre 1916. L’année suivante, dès le 16 septembre 1917, c’est la capitale administrative qui accueillera la grande messe.
Chemin de fer devant la Foire de Rabat
en septembre 1917.
C’est dans l’optique de faciliter le déplacement des participants à cet événement que le Comité de la Foire de Rabat mettra en place un tramway à traction vapeur et essence. «Celui-ci allait de Bab El Alou à la Foire d’une part, et de Salé (il traversait la porte Bab Bouhaja pour se rendre à Rabat en empruntant le pont Moulay Youssef) à la Foire d’autre part», raconte le média O-Maroc dans un article datant de 2014. «Ils s’agissaient de petits trains de type Decauville ou Pechot sur voies étroites en 0,60 m… couramment appelés ‘tramway’».
Le tramway Rbati devant Bab Bouhaja à Salé.
C’est en 1921 que deux lignes de tramway seront officiellement mises en service par la Compagnie des Transports (CTRS). Le tramway Rbati reliait aussi le centre-ville aux quartiers de l’Agdal et de l’Aviation. Trois ans plus tard, c’est tout un réseau de tramway qui voit le jour avec plusieurs lignes, toujours selon O-Maroc.
«Le tramway partait de la gare militaire de Bab El Had, une voie continuait vers Salé en empruntant le Boulevard Joffre. Du Boulevard Joffre, une voie bifurquait vers Dar El Makhzen en direction de l’Agdal. Une autre ligne reliait la gare au port. Une ligne de Tramway mettait en liaison le boulevard Gallieni avec la porte des Zaërs et l’Agdal (Les boulevards Joffre et Gallieni ont été baptisés boulevard Hassan II, ndlr). Le tramway pouvait également se rendre au Jardin d’Essais de Rabat. Il partait de Bab El Had puis se dirigeait par la rue de Dijon vers la place de la Madeleine à l’Agdal où il effectuait une boucle pour le retour.»
Et le tramway ressuscite 81 ans après !
Ce réseau profitera notamment d’une ancienne ligne de chemin de fer, installée pour le transport des pièces ayant servi pour la construction du Fort Rottembourg. Construit par l'ingénieur allemand Rottembourg dans les années 1860 à la demande du sultan Hassan 1er pour abriter deux canons Krupp de 30 tonnes chacun offerts par l’Allemagne au royaume chérifien. L’ouvrage avait justement nécessité une grue géante pour les débarquer et un chemin de fer qui sera par la suite abandonné.
Une ancienne photo de Rabat montrant les rails utilisées
pour la construction du Fort Rottembourg.
Mais le premier tramway Rbati aura la vie courte. Un essai d’automotrice Berliet sur rails est abandonné en juillet 1926 avant que l’exploitation du réseau ne soit totalement abandonnée en 1930. Ce n’est qu’en 2005 que des études de conception sont menées avant la désignation de l’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg comme maître d'ouvrage pour l’actuel tramway Rbati. Il desservira, dès juillet 2019, d’autres quartiers situés sur les deux rives de Bouregreg.