Les deux pays ont sensiblement le même budget militaire. Mais curieusement, la taille et l’échelle des armées de la Russie et du Royaume-Uni diffèrent fortement : cinq fois et demi plus de soldats russes, dix fois plus de chars de combat… Cette petite analyse du Telegraph est fort intéressante en ce qu’elle montre qu’il faut placer les chiffres, donnés par les gouvernements, dans le contexte du pays auquel ils se rapportent.
Certains en sont bien conscients, tel le chef de l’armée britannique, le général sir Nick Carter, qui a très récemment plaidé pour un plus gros financement militaire, arguant que la Grande-Bretagne avait du mal à suivre, précisément, les progrès de l’armée russe…
Le Royaume-Uni dépense plus que la Russie
Les chiffres prouveraient pourtant l’inverse. Selon l’Institut international d’études stratégiques, le budget de la défense de la Russie était d’environ 46,6 milliards de dollars en 2016 et celui de la Grande-Bretagne d’environ 52,5 milliards de dollars.
Mais, nous dit le Telegraph, bien que la Grande-Bretagne dépense apparemment plus, la Russie comptait en 2017, 831 000 militaires actifs contre 152 000 au Royaume-Uni et cet écart se retrouve dans le volume d’équipement : 2 700 chars russes contre 227 chars britanniques, 4 900 véhicules d’infanterie de combat russes contre 623 britanniques, etc…
Certes, les commandants du Royaume-Uni affirment que la qualité d’une grande partie de l’équipement russe n’est pas comparable à la leur et que le pays s’est concentré sur des capacités de premier ordre plutôt que sur de simples chiffres. Mais ils disent aussi que le volume des forces russes peut donner un avantage.
Le Kremlin modernise ses forces
Sans compter que leur équipement s’améliore, car le Kremlin est en mesure d’utiliser son budget de défense pour mener à bien une vaste modernisation de ses forces. Pour le général sir Nick Carter, la Russie dispose même de capacités de combat que le Royaume-Uni aurait du mal à égaler.
Un ancien haut général britannique avait déjà déclaré aux députés, à la fin de l’année dernière, que l’armée britannique était maintenant dépassée depuis 20 ans…
Aujourd’hui, sir Nick Carter souligne la menace des missiles russes à longue portée, qu’on a vu à l’œuvre en Ukraine ou en Syrie, ou celle d’une force expéditionnaire de plus en plus agressive. Mais selon d’autres sources de l’armée les généraux s’inquiètent également de la domination russe dans des domaines tels que l’artillerie, la cyber-guerre, la guerre électronique et les opérations de drones (comme ceux qui avaient détruit deux bataillons d’infanterie mécanisés ukrainiens en l’espace de 15 minutes…).
Ce que cachent les chiffres
Comment les chiffres peuvent-ils autant être trompeurs ? Comment la Russie peut-elle manifestement tirer beaucoup plus de son budget de défense que la Grande-Bretagne et ses alliés occidentaux alors qu’il est actuellement quasiment le même… ?
Tout d’abord, explique dans le Telegraph le Dr Igor Sutyagin, expert sur la Russie au Royal United Services Institute, les chiffres du budget de la défense russe sont en partie faussés. La machine militaire russe est largement financée par des départements gouvernementaux autres que la défense : des domaines comme la défense civile, les retraites et les vétérans sont financés par des ministères civils. Ainsi, l’ampleur réelle des dépenses militaires russes pourrait être de 30 à 50 % plus élevée que celle du budget de la défense.
D’autre part, il faut prendre en compte le faible coût de la main d’œuvre et de la fabrication : les soldats et les ouvriers sont payés seulement quelques centaines d’euros par mois. Car l’approvisionnement de la défense reste quasi exclusivement entre les mains de l’Etat, qui veut travailler le moins possible dans ce secteur avec des compagnies privées, dites « irresponsables et peu fiables ». Par conséquent, la Russie ne paie pas les prix du marché, mais fixe les siens.
Ce qui lui permet, par ailleurs, de dépenser davantage pour l’équipement. L’analyste principale des budgets de la défense chez Jane’s (entreprise majeure de renseignement de sources ouvertes sur les thèmes de la défense, la sécurité, les transports et la police) a analysé qu’« en moyenne, la Russie consacre près de 30 % de l’ensemble de son budget de la défense à l’achat, tandis qu’au Royaume-Uni, la proportion est proche de 17 % ».
Le Royaume-Uni dépense généralement plus pour le personnel, les opérations et la maintenance, tandis que la Russie, avec des coûts de main-d’œuvre et de fabrication moins élevés, est capable de consacrer davantage de fonds à l’investissement et à la modernisation.
Des budgets militaires en baisse
Rien d’étonnant à ce qu’outre-manche, on s’inquiète. Et pourtant, il semble que le plan de modernisation de l’armée britannique et de son équipement ne soit pas pour demain. Tous les budgets sont réduits et Gavin Williamson, le secrétaire à la Défense, lutte actuellement avec le Trésor pour éviter de nouvelles coupes dans les forces armées.
Du côté russe, si le budget militaire sera aussi réduit en 2018, comme l’a annoncé Poutine, (en partie à cause de la crise économique et des sanctions toujours pesantes) le rythme du réarmement restera le même. Et la majeure partie du budget du ministère de la Défense sera consacrée aux systèmes militaires de nouvelle génération (entre autres, le missile balistique intercontinental RS-28 Sarmat, surnommé « Satan-2 »).
Petite réflexion soudaine : si la Grande-Bretagne s’inquiète d’une Russie qui arrive à mieux avec un budget inférieur, que penser de la Chine, avec ses 191 milliards de dollars de budget, et un système communiste qui lui permet de payer une misère ses soldats ? L’ampleur réelle des dépenses militaires chinoises doit bien aussi prendre 30 à 50 % supplémentaires…