Cette planchette est en forme de trapèze de 40 centimètres environ de hauteur, sur 25 centimètres dans sa base la plus large et 20 centimètres dans son côté le plus étroit. Pour écrire, l'enfant recouvre cette planchette d'un enduit d'argile délayée dans de l'eau, que l'on appelle Sounssal. On écrit sur cette sorte d'ardoise avec le Klem (plume de roseau) habituel, en se servant d'une encre appelée smac ou smagh. Cette encre est faite soit avec de la laine brûlée, et c'est la meilleure, soit avec de la corne d'agneau brûlée. La laine dont on se sert est celle qui est le plus près de la peau et qui est imprégnée de suint.
Lorsque l'enfant a appris à écrire les lettres de l'alphabet, à les relier entre elles et à connaître leur valeur exacte, ainsi que toutes les voyelles et les signes orthographiques, le maître commence à lui apprendre, en la lui dictant, la première sourate du Coran, El Fatiha. Il ne se sert pour cela d'aucun livre : il sait le Coran par coeur. Au fur et à mesure que la planchette est couverte d'écriture, l'enfant apprend par coeur ce qu'il a écrit ; son attention et sa mémoire sont fortement stimulées par la crainte des coups de baguette de cognassier que le maître lui applique sur la plante des pieds pour corriger ses erreurs ou ses oublis. Dans ce cas, la victime est maintenue par deux de ses camarades qui tiennent ses pieds à la portée de la baguette du fakih. Cette correction est usitée pour toutes les fautes des écoliers, et elle leur est même souvent infligée s'ils se conduisent mal en dehors de l'école. Aucune explication n'est donnée aux enfants sur le Coran, qu'ils apprennent ainsi par coeur ; le maître qui le leur apprend serait d'ailleurs très embarrassé d'expliquer le moindre passage de ce qu'il enseigne. Toute sa science consiste à savoir le Coran par coeur d'un bout à l'autre, à en connaître admirablement l'orthographe exacte, toutes les intonations, tous les accents ; mais il n'y comprend rien, et ne cherche pas à comprendre, pas plus que ses élèves. Si l'un d'eux, ce qui n'arrive d'ailleurs jamais, s'avisait de demander une explication sur le sens des phrases qu'on lui fait apprendre par coeur, par lambeaux, il serait d'abord battu, pour le bon exemple, et ensuite certainement exorcisé, car seule la présence en lui d'un démon pourrait expliquer sa curiosité. On n'apprend pas le Coran pour le comprendre, mais pour le savoir, pour le posséder, non parce que cela peut être d'une utilité quelconque dans la conduite de la vie, mais pour le mérite, El Ajar, et pour la bénédiction, El Baraka, qui sont attachés au fait de posséder dans sa mémoire tout le livre sacré. La principale préoccupation de tous ceux qui sont arrivés, après bien des années, à réaliser ce tour de force de mémoire, consiste à ne pas oublier ce qu'ils ont appris, et à entretenir leur mémoire par une continuelle récitation du Coran, de façon à n'en pas perdre un seul mot. C'est que, par une singulière interprétation de quelques versets de la quinzième sourate, les Marocains en sont arrivés à croire que ceux qui, ayant appris le Coran, l'auraient oublié, seront frappés de cécité dans l'autre monde.
L'école, appelée M'sid, se compose d'une pièce, généralement au rez-de-chaussée, souvent sans fenêtres et ne recevant la lumière que par la porte. Le mobilier de l'école se compose universellement d'une simple natte achetée par les élèves, et d'une sorte de banc très bas sur lequel le professeur est assis, les jambes repliées sous lui. Les élèves sont assis de la même façon sur la natte. Il n'y a jamais ni bancs ni pupitres. L'éclairage, en hiver, se fait au moyen d'une lampe qui se compose d'un verre suspendu au plafond par un fil de fer, et dans lequel se trouve de l'huile d'olive et une mèche faite d'un bout de chiffon de coton.