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Le règne des voleurs – Petit conte pour les grands –

Je vous partage donc ci-dessous un joli écrit bien éclairé sur une vision de notre société et ceux qui la dirigent à travers les âges.
Vivez une agréable lecture !

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« Croire à l’histoire officielle, c’est croire des criminels sur parole » (Simone Weil
Il était une fois, au pays des merveilles, un jeune homme rusé que le travail des champs épuisait. Il en avait assez de ce dur labeur pour gagner sa maigre pitance. Il réunit quelques amis. Ensemble, ils volèrent des épées et quelques chevaux. Ils partirent, tels des soldats, à la conquête des terres alentour. C’était lui, le plus fort, qui commandait.
Comme tout se passait bien pour eux, il se mirent à conquérir la province toute entière, en soumettant les paysans qui habitaient là. Pour vivre, lui et ses hommes, il prélevait le dixième des récoltes sous forme d’impôt.

Tapisserie de Bayeux (1066/1082)


Se voyant avancer en âge, il choisit la plus belle femme du pays et demanda sa main. Celle-ci accepta car elle savait que son existence serait assurée ainsi, tout comme celle de sa progéniture. Ils eurent des enfants forts et rusés comme lui. Il leur enseigna comment se battre et l’art de la guerre.




La dynastie :

Ses descendants, à l’aide de leurs soldats, gardèrent la même position que leur père. Ils considéraient que la province leur appartenait par héritage – leur ancêtre ne l’avait-il pas gagnée en se battant, après tout ?
Les paysans qu’ils exploitaient n’étaient pas du même avis : « Leur père nous a dérobé cette terre. Il s’ensuit que ses descendants sont les fils d’un voleur. Dans ces conditions, pourquoi paierions-nous un impôt sur une chose qui nous appartient ? Et qu’ils nous ont volée ? ».


Les très riches heures du duc de Berry (1416/1440)


Soumettre les paysans incultes n’était pas très compliqué. Ceux-ci n’avaient pas le temps de se cultiver eux-mêmes, ni de trop réfléchir. Mais tout de même, il arrivait parfois qu’ils se défendent avec leurs bâtons et leurs faux.
C’est alors qu’arrivèrent quatre cavaliers qui s’appelaient Armée, Justice, Religion et Argent. Ils apportèrent leur aide aux descendants du jeune homme fort et rusé qui n’était, somme toute, que le plus grand des voleurs.

Les quatre cavaliers :
Le travail du cavalier Armée était de soumettre le peuple. Celui-ci, ordinairement, se taisait malgré la misère qu’il subissait ; mais dans les grandes périodes de disette, il arrivait qu’il se révolte. Les troupes étaient alors indispensables pour continuer à exploiter ce bétail humain, en réduisant les fortes têtes au silence. Soit on les tuait sans plus attendre, soit on les faisait torturer en place publique à titre d’exemple.




Le travail du cavalier Justice était d’empêcher que les petits voleurs deviennent puissants, par exemple en dérobant ce que le grand voleur avait déjà pris pour lui. Mais surtout, la justice permettait à ce dernier, ainsi qu’à ses héritiers, de conserver le produit de leurs larcins.
Le travail du cavalier Religion était de parfaire cet ordre, en ôtant toute envie de révolte aux classes exploitées. Il leur faisait croire que tout cela était naturel, venant de Dieu : il n’y avait donc pas lieu de se tourmenter.




Le cavalier Argent était, en ce temps-là, celui qui avait le moins à faire : les banques n’existaient pas encore, car les paysans n’avaient pas d’or. Ils pratiquaient le troc entre eux.
L’or était uniquement pour les héritiers du grand voleur. Ils le conservaient dans des coffres gardés par leurs soldats, à l’intérieur de châteaux avec d’épais murs de pierre et un grand pont-levis.




De la province au royaume
Au fil des générations et des guerres, des pays se formèrent de cette manière. Les voleurs les plus puissants attaquèrent les voleurs les plus faibles avec leurs troupes. C’est ainsi qu’apparurent, au fil des siècles, des royaumes.
De la sorte, la première aristocratie de marquis, comtes, ducs, princes et rois, était exclusivement constituée de fils et de petit-fils de voleurs, d’héritiers receleurs éduqués par leurs parents pour faire perdurer ce système.



L’élite était donc formée par les pires individus de la société, qui se prétendaient monarques « de droit divin » avec le secours de l’armée (« Nous vous protégeons ! »), de la religion (« Dieu le veut ! ») et de la justice (« Ce système est juste ! »). Progressivement, une monnaie fut mise en place, garantie par les voleurs eux-mêmes, qui purent alors dire : « Nous vous permettons aussi de manger, grâce à l’argent que nous vous donnons ! ».

La révolte

Jamais les paysans n’auraient bougé par eux-mêmes. Ils n’avaient plus assez de volonté pour cela, car ils avaient été éduqués, génération après génération, pour être exploités.
Ce système fut renversé par de nouveaux voleurs qui voulaient, eux aussi, leur part ; et également d’hommes animés d’un idéal humaniste, et que tout cela écoeurait à vomir. Ils menèrent le peuple à l’insurrection. Les endroits et les moments ayant été soigneusement choisis, le mouvement prit de l’ampleur et arriva à abattre, assez rapidement, la dynastie du grand voleur et de ses héritiers.




Le nouveau pouvoir prit le nom de Res publica. Ses dignitaires firent décapiter le roi, lointain héritier du grand voleur, puis son épouse, et firent en sorte que sa descendance meure avant l’âge adulte. Tout cela avec plus de violence et de sauvagerie que dans une peuplade de singes…

La réforme

La Res publica voulut réformer le système. Il fallait supprimer ce qui faisait la force du grand voleur et de ses héritiers.
Pour la religion, elle tenta de détruire « Dieu » par l’Etre suprême, mais cela échoua. Elle s’appropria alors les biens des religieux, et fit émettre de la monnaie en papier pour le peuple. Cette monnaie était soi-disant cautionnée par les biens extorqués. Elle gardait les vraies richesses jalousement, ainsi que tout l’or qu’elle s’était approprié grâce au cavalier Armée.
Pour la justice, la Res publica remplaça les lois des anciens voleurs par les textes des nouveaux. Ceux-ci se rassemblaient en bandes, dans un endroit qu’ils nommaient Assemblée, par manque de vocabulaire car ils débutaient.




Comme la Res publica ne savait pas très bien compter non plus, elle voulut même réformer le temps. Elle imposa un nouvel ordre des jours appelé Calendrier de la liberté avec des semaines de 10 jours au lieu de 7. Il fallut travailler 9 jours avant d’avoir une journée de repos, contre 6 auparavant.




Les paysans et tous les corps de métier furent donc obligés de trimer davantage, puisque, désormais, ils n’avaient plus que 3 jours de repos par mois. Pour les calmer, on leur disait : « Nous vous avons libérés du tyran ! Maintenant vous êtes libres ! Profitez-en ! ».

Le fleuve rouge

Mais la bande des nouveaux voleurs était divisée. Ils n’étaient pas tous d’accord sur la manière de diriger le pays : continuer l’exploitation du bétail humain, ou bien instaurer un système réellement humaniste ?
Chacun voulant absolument avoir raison, ils se décapitèrent les uns les autres à l’aide d’une machine à couper les têtes. Comme ils se prétendaient civilisés, cette machine avait été choisie par le cavalier Justice. Désormais, c’était un mécanisme qui donnait la mort, au lieu d’un homme qui tuait directement un autre.




De cette manière, les juges de la Res publica se sentaient moins coupables lorsqu’ils regardaient le fleuve qui traversait leur capitale, teinté en rouge par le sang de leurs victimes.

Le nouveau grand voleur

Dans ce désordre, un voleur plus doué que les autres s’empara du pouvoir. Comme il avait des principes, il redressa le pays de manière extraordinaire et inespérée. Se sentant insatisfait malgré tout, il se mit à conquérir le continent avec l’aide du cavalier Armée.
En même temps, il en profita pour s’enrichir, ainsi que sa famille et tous ses amis. En quelques années seulement, une nouvelle aristocratie dite d’Empire apparut grâce à la guerre, empire voulant peut-être dire en pire.




On était en quelque sorte revenu au point de départ, avec ce nouveau grand voleur qui s’était approprié d’autres pays. Puis il fut vaincu à son tour, mais ne fut pas décapité. Il termina son existence sanglante en exil. Voilà pourquoi l’on ne dit pas « l’histoire se répète », mais « l’histoire bégaie »…
C’est vers cette période qu’un cinquième cavalier apparut. Tantôt il s’appelait Ecole, tantôt Histoire car il aimait en raconter beaucoup. Son vrai nom, uniquement connu des initiés, était Information. Son rôle était de dire la vérité aux nouveaux voleurs, mais de mentir au peuple.
Et les années passèrent…
Une génération remplaçant l’autre, les jeunes prenaient le relais des anciens. Il y eut des guerres suivies de profonds changements dans le pays, qui fut finalement absorbé par les nations avoisinantes pour former un royaume plus vaste, car il y avait des grands voleurs ailleurs aussi.

Maintenant, ceux-ci prélevaient plus de la moitié des revenus comme impôts, au lieu du dixième des récoltes comme le faisait le premier d’entre eux.
En effet, plus ils prenaient d’argent, plus ils craignaient une nouvelle révolte ; et plus ils avaient besoin de contrôler les gens avec davantage de policiers et de fonctionnaires. La plupart des gens acceptaient de devenir leurs complices contre de l’argent versé au titre de salaire.

Tout cela coûtait très cher. Aucune importance car, de toute manière, c’était le peuple qui payait par l’intermédiaire des impôts. Il y en avait pour tout : directs, indirects, sur le fruit du travail, sur le capital, sur l’héritage transmis aux descendants, et même l’impôt sur l’impôt. Mais les plus riches mettaient leur patrimoine à l’étranger pour y échapper. D’ailleurs, ils étaient souvent informés avant les autres.




Ce que faisaient les cinq cavaliers

Ils restèrent toujours présents : Armée, Religion, Justice, Argent et Information, toujours au service des grands voleurs.
Le cavalier Armée préférait une armée de métier. Ainsi, le peuple ne savait plus comment manier les armes, ni combattre en troupe ordonnée pour protéger ses intérêts, puisque personne ne le lui enseignait.
Le cavalier Religion pensait qu’une illusion de démocratie pouvait remplacer « Dieu » en créant la laïcité : en réalité une religion de plus, celle des personnes qui croient à ce qu’elles disent. Au lieu de croire à ce que d’autres disent…
Le cavalier Justice continua d’écrire des lois. Celles-ci étaient devenues tellement complexes que la plupart des gens, n’y comprenant plus rien, pensaient : Mieux vaut un mauvais arrangement qu’un bon procès.

 La justice.

Le cavalier Argent avait remplacé les anciennes monnaies par des billets de banque, sachant que ceux-ci, au gré de l’inflation, perdent de la valeur. Ce n’est jamais le cas avec l’or en pièces ou en lingots. Aussi, celui-ci restait bien protégé dans les coffres des grands voleurs. Le peuple n’était plus payé en écus d’or et d’argent, mais en papier : lorsque l’on vole quelque chose à quelqu’un, ce n’est pas pour le lui rendre après.




Le cavalier Information, à force de mentir, ne savait même plus où était la vérité. Aussi, par prudence, il traitait de complotistes tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui.

Le secret des secrets

Voltaire d'après une gravure de Baquoy
Un philosophe bien connu… 

Chaque jour, les grands voleurs rendaient grâce à un penseur qu’ils surnommaient Le philosophe des Lanternes. En effet, celui-ci leur avait enseigné le secret des secrets : Un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne. Son nom commençait par le mot « Vol », ce qui leur inspirait une profonde confiance.
Grâce à ce secret, les grands voleurs n’eurent jamais besoin de travailler. Ils vécurent heureux dans de grandes et somptueuses demeures. Ils prirent les plus belles femmes comme épouses, les remplaçant par de plus jeunes quelques années après, sans doute pour respecter l’adage : « Changement d’herbage réjouit les veaux ».
Leur descendance fut vivace. Leurs enfants suivirent leur exemple. Continuant à voler le peuple, ils s’enrichirent au-delà de leurs plus folles espérances. D’ailleurs, qui aurait pu les en empêcher, puisque c’étaient eux qui faisaient les lois…


Jour de libération fiscale appliqué à un billet de 100 euros


Pour 100 euros gagnés, 43 vous restent après paiement de tous les impôts (revenus, TVA, etc). C’est le principe du jour de libération fiscale appliqué à un billet de 100 euros (voir Wikipédia – Jour de libération fiscale et Le Particulier – Jour de libération fiscale ). Dans le même ordre d’idées, sous l’Ancien Régime, au temps des rois de France, les lois de l’église garantissaient 38 jours fériés parmi les jours de repos. De nos jours, il reste seulement 11 jours fériés. Tirez-en les conclusions vous-même, plutôt que d’écouter la télévision vous dire ce que vous devez en penser…

Christian Féron