Le protectorat n’a pas commencé
en 1912, mais dès 1830. Endettés, menacés, dépassés, les sultans ont
préféré brader le royaume plutôt qu’abandonner le trône. Enquête sur les
secrets financiers et les intrigues politiques qui ont conduit le pays à
la plus grande humiliation de son histoire.
Il est a priori facile de dater
l’histoire du protectorat : 1912 – 1956. Mais ce n’est qu’une apparence,
une vitrine officielle. En réalité, l’histoire est plus longue et
beaucoup plus complexe qu’on ne pourrait le croire. Quand, exactement,
tout a-t-il commencé ? La réponse dépend des écoles. Politiquement,
comme on peut le lire chez Abdellah Laroui, “l’Etat marocain a cessé
d’exister à partir de 1880” (in L’Histoire du Maghreb), c’est-à-dire au
moment où un rendez-vous important, la conférence de Madrid, a placé le
royaume sous contrôle international. Militairement, le pays s’est
effondré dès 1844, au lendemain de la bataille d’Isly. Economiquement,
il a subi des récessions de plus en plus fortes tout au long du 19ème
siècle.
Alors, quelle date retenir ? Consensuellement, la plupart
des historiens s’accordent sur l’importance symbolique de l’année 1830.
“C’est là, avec l’arrivée de la France en Algérie, que l’histoire
marocaine a définitivement basculé”, résume le chercheur Mustapha
Bouaziz. L’irruption brutale de l’Europe et de son cortège de valeurs
agressives (ses armées, ses politiques, son système économique) a plongé
le Maroc dans une sorte de purgatoire. C’est l’année où le compte à
rebours devant aboutir à un protectorat en bonne et due forme est
enclenché.
Quand le vent du nord a soufflé
Nous
sommes donc en 1830, en plein cœur de ce siècle où la face du monde est
en train de changer. Pendant que la révolution industrielle (chemins de
fer, réseaux routiers, exploitation des sous-sols, développement
maritime, matériel de guerre, etc.) et la croissance économique gagnent
le monde occidental à toute vitesse, le Maroc vit en autarcie, fermé,
jalousement replié sur lui-même. De l’intérieur, le pays bouillonne,
soumis aux soubresauts d’une folle instabilité politique. L’anarchie
régnante fait ressembler l’ancien empire à un homme au bord de la crise
de nerfs. Les sultans se succèdent à un rythme frénétique. En un siècle,
depuis la mort de Moulay Ismaïl, le pays a connu pas moins de 20
règnes. Certains sultans n’ont régné que quelques mois à peine, alors
que d’autres ont pu, à la faveur de coups d’Etat et de renversements
d’alliances, abdiquer avant de retrouver leur trône plusieurs années
plus tard : à lui seul, le sultan Abdallah II a ainsi accumulé six
règnes intercalés d’autant d’intermèdes.
Le pays est globalement
coupé en deux : le bled Makhzen (plaines, ports, grandes villes) soumis à
l’autorité du sultan, et le bled siba (montagnes) dissident. Les
frontières entre les deux Maroc fluctuent selon la fréquence et la
portée des harkas, les expéditions punitives menées par le sultan en
personne.
L’organisation de la vie sociale repose sur des règles
héritées du Moyen-Age. Agriculture, élevage et artisanat constituent
l’essentiel de l’activité économique. Le volume du commerce interne est
faible du fait de la difficulté du transport : les routes sont
inexistantes et l’insécurité est telle que le pays ressemble à un
ensemble d’enclaves. Les déplacements sont lents, coûteux et extrêmement
dangereux. Les villes fonctionnent pratiquement sous un régime
d’autonomie alimentaire et la campagne est contrôlée par les tribus
locales. La vie sociale est par ailleurs rythmée par les cycles de
famines et d’épidémies. L’enseignement est réduit à sa plus simple
expression (le religieux) et reste confiné dans les médersas-mosquées.
Et il n’existe d’autre médecine que la traditionnelle, à base d’herbes
et de produits-miracles.
L’Etat, c’est le sultan
Et l’Etat dans tout
cela ? Il existe, bien sûr, mais dans une configuration très éloignée
des schémas alors en vogue de l’autre côté de la Méditerranée. Du
hajib-chambellan au vizir de la mer (équivalent d’un ministre des
Affaires étrangères), en passant par l’amine des oumana (ministre des
Finances) et le wazir chikayate (ministre de la Justice), tous ont leurs
bniqas-bureaux à l’intérieur du palais. Ce qui ne laisse guère de place
au doute quant à la nature du système politique. L’Etat, c’est le
sultan. C’est lui qui convoque ministres et conseillers à tour de rôle,
rarement ensemble, c’est lui aussi qui nomme et contrôle ses
représentants dans le pays profond, les caïds et pachas. Bien entendu,
l’amalgame Etat-Sultan a une terrible conséquence : quand le roi mène
bataille loin de son palais, c’est-à-dire la moitié de son temps, c’est
pratiquement tout l’Etat qui est en berne et l’ensemble du pays est
alors livré à lui-même.
On en vient à un autre point important, qui
explique à lui seul l’extrême vulnérabilité du royaume chérifien :
l’armée. En dehors de factions traditionnellement fidèles (les Boukhara,
les Oudaïa, etc.), l’essentiel des troupes est fourni par ce qu’on peut
appeler des “intermittents de la guerre” : des combattants occasionnels
qui peuvent prendre part à une harka avant de rentrer, à la fin de
l’expédition, dans leurs tribus respectives.
On comprend dès lors
que cette armée, à l’état de forme aléatoire, à la motivation incertaine
et aux effectifs si fluctuants, ait perdu pratiquement toutes les
batailles dans lesquelles elle s’est engagée durant le 19ème siècle.
Les pauvres payent pour les riches
Examinons
à présent le nerf de la guerre : l’argent. On verra là aussi comment
l’organisation du “système financier” du royaume a été à l’origine de
son asphyxie et l’a mené tout droit à la mise sous protectorat.
Avec un sous-sol riche mais largement inexploité (sel gemme, cuivre),
les principales ressources se réduisent aux impôts et aux droits de
douane aux ports. Entre le Makss, le Ma’ouna, la Naïba, la N’foula et la
Jiziya, les droits et impôts sont si nombreux qu’ils constituent la
première source de soulèvement populaire. En dehors de certaines
corporations (les tanneurs à Fès), il n’existe aucun syndicat et aucun
moyen de contrer l’arbitraire. La dissidence devient la règle. Un
citoyen ou une tribu en colère, c’est un petit Maroc, un de plus, qui
bascule dans le bled siba et constitue une nouvelle poche de résistance à
l’autorité du “gouvernement” central.
Le phénomène est d’autant
plus fréquent que les impôts ne sont ni généralisés ni équitablement
répartis. Les Chorfa, tribus alliées et fidèles du sultan, en somme une
partie de la bourgeoisie locale, en sont exonérées. Le schéma tient du
cliché, ou presque : les pauvres payent pour les riches. Mais, comme
nous le rappelle le chercheur Mustapha Bouaziz, “même les riches
risquent à tout moment de perdre leurs biens s’ils en viennent à
provoquer un coup de sang du sultan”.
La pratique de l’imposition
fonctionne au mieux comme une caisse de compensation, au pire comme un
gigantesque racket légal. Quand les villes, jadis florissantes grâce au
commerce caravanier, sont asphyxiées par le déferlement des vagues
européennes, le Makhzen se tourne vers la campagne, déjà pauvre, pour
rançonner les tribus via de nouveaux impôts. On imagine aisément le
climat social d’alors, avec des ports accrochés aux pieds de l’Europe et
une campagne au bord de l’insurrection générale.
Un seul objectif : gagner du temps
Dans ce
Maroc qui ressemble furieusement à une bombe à retardement, le commerce
extérieur et les activités d’import-export restent une fenêtre
intéressante. Probablement la seule. Mais elle est menacée par deux
phénomènes récurrents : le monopole du sultan et la protection accordée
aux intérêts européens. Le monopole sultanien (les négociants doivent
s’affranchir d’un dahir d’agrément-délégation signé par le sultan et ne
peuvent léguer aucun des biens accumulés) est un moyen de contrôler
l’enrichissement des sujets marocains. “Le sultan accorde plus
facilement ses agréments aux juifs au détriment des musulmans. A ses
yeux, les juifs ne constituent aucune menace politique et peuvent par
conséquent accumuler plus de richesses”, analyse Mustapha Bouaziz.
La protection accordée aux Européens, d’abord aux commerçants
britanniques et français, ensuite à l’ensemble des pays occidentaux,
crée une interminable série de désordres : l’exonération des taxes et
impôts réduit considérablement les recettes de l’Etat, l’arrivée massive
des produits européens tue l’embryon d’industrie locale et dévalue la
monnaie nationale. Sans oublier que la protection étendue aux employés
et aux relations marocaines de ces mêmes Européens est au final un
sauf-conduit qui offre à des milliers de sujets la possibilité
d’échapper financièrement, et même juridiquement, à l’autorité du
sultan.
Les rois qui se sont succédé tout au long du 19ème siècle
ont tenté, chacun à sa manière et avec des fortunes diverses, de
circonscrire le mal. Menacés tant par la dissidence locale que par les
incursions étrangères, obligés de se débrouiller avec un système
économique en instance de mort, ils ont surtout cherché à jouer la
montre. Le contexte international les y aidés. Parce que l’Europe a
longtemps hésité entre deux attitudes possibles : la méthode anglaise
faite d’une politique dite des comptoirs, privilégiant exclusivement les
intérêts commerciaux, et la méthode française plus “volontariste”
(occupation en douceur, à coups de fortifications militaires, de
pénétration institutionnelle et de mainmise économique). Sans oublier la
méthode espagnole, belliqueuse voire simplement brutale.
Colonisation, mode d’emploi
Ce Maroc exsangue,
en pagaille, complètement désarticulé, incapable de se remettre en ordre
de marche, a formidablement aiguisé l’appétit de ses voisins européens,
voire de tout le monde occidental. Ce n’est pas pour rien que, au
moment de débattre du “problème marocain” à Madrid, douze pays
occidentaux, un total impressionnant, sont représentés. A côté des
voisins immédiats que sont la France et l’Espagne, on retrouve des pays
comme l’Autriche, la Norvège, l’Italie et même les lointains Etats-Unis.
Tous se sont pressés à Madrid pour se partager au mieux le gâteau
marocain. Le Maroc, premier concerné, est pour l’anecdote,
sous-représenté et arrive, le jour J, sans aucune proposition concrète,
prêt à ratifier ce que les puissances étrangères lui auront proposé.
L’historien Henri Terrasse écrit à ce propos : “Les Belges fondaient au
Maroc des entreprises économiques, les Etats-Unis pensaient à se faire
céder l’îlot de Perejil (ndlr, le même qui a provoqué la violente crise
Maroc-Espagne plus d’un siècle plus tard, en 2002), l’Allemagne
commençait par financer les explorations de Rohlfs et de Lenz et, sous
couleur d’un établissement pacifique, projetait d’augmenter sa place au
Maroc (in Histoire du Maroc)”.
Classiquement, la pénétration
européenne a fait appel à trois instruments. L’exploration sociologique
via des missions d’explorateurs (Eugène Delacroix, Pierre Loti, etc.),
d’abord dans le nord et le long des côtes, ensuite dans le pays profond,
a permis d’établir une radioscopie aussi fidèle que possible de la
société marocaine. La suprématie économique a permis de créer un nouvel
ordre local et d’assujettir le royaume à un consortium de banques
européennes. Et les frappes militaires ont détruit les quelques foyers
de résistance et fait entendre raison aux sultans.
Le malheur du
royaume a été que sa décadence a coïncidé, dans le temps, avec
l’émergence d’une nouvelle idéologie : le colonialisme. C’est la
tendance lourde de l’époque. Au point que même un intellectuel au-dessus
de tout soupçon, comme le poète Victor Hugo, se fend d’une phrase
restée célèbre : “Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Résolvez
vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires”.
Le nouveau livre de Ali Benhaddou, L’Empire des sultans, qui vient
d’être publié aux éditions Riveneuve, regorge de perles colonialistes.
En plus de Hugo, l’auteur cite l’étonnant docteur Mauran, théoricien des
races : “Si l’on trouve souvent le type du Maure pur, teint mat, nez
busqué, œil noir et vif, barbe légèrement frisottante, dents grandes et
espacées, haute taille, race de proie par excellence, il y a, à côté,
des types qui déroutent et qui prouvent le croisement, l’abâtardissement
de la race primitive, types indécis, épais et lourds, mulâtres à tous
les degrés”. Le même Mauran, décidément intarissable, explique par
ailleurs le malaise de “l’indigène” face à la modernité : “Ils sont
encore loin de nous, loin comme ce passé qui les enserre d’un réseau
atavique. Beaucoup ont voyagé et connaissent Marseille, Londres, Paris,
l’Egypte. Dans l’étonnement où les plongea le spectacle de notre vie
moderne, il entrait bien un peu de superstitieuse terreur et, quand nous
les invitons à entrer dans la voie du progrès et de la civilisation,
ils ont le vertige comme devant un gouffre insondable où ils craignent
de sombrer corps et biens”. Les frères Tharaud, qui ont longtemps figuré
parmi les conseillers du maréchal Lyautey, ne font pas dans la dentelle
quand ils livrent à leur tour leur vision des Marocains : “Orgueilleux,
fanatiques, corrompus, corrupteurs, jaloux les uns des autres, toujours
prompts à la critique et peu enclins à reconnaître les services qu’on a
pu leur rendre. Ce qu’ils font aujourd’hui est tout pareil à ce qu’ils
faisaient hier. Beaucoup de luxe, aucune invention, trop paresseux pour
conserver, trop peu doués pour inventer”.
France-Espagne : deux gendarmes pour le royaume
Si
le vent du colonialisme a emporté des gens raisonnables et de brillants
esprits humanistes, donnant lieu à d’épouvantables théories sur
l’inégalité des races, c’est qu’il s’est toujours drapé d’une mission
civilisatrice. Coloniser, c’est (se) développer. Le concept relève de la
doctrine nationale dans tous les pays d’Europe nouvellement
industrialisés. Pour faire passer la pilule aux rares récalcitrants,
l’idée est alors d’exagérer les traits de la future colonie, dépeinte
comme un pays riche mais inexploité, dominé par des barbares sans foi ni
loi. La recette fonctionne et l’opinion publique épouse les vues de ses
dirigeants.
Après avoir longtemps buté sur le veto
de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, la France et l’Espagne
profitent de l’internationalisation du problème marocain pour occuper
définitivement le terrain. Le fruit chérifien est mûr, il menace de
tomber à tout moment en cette fin de 19ème siècle. Les sultans ont
accumulé suffisamment de dettes auprès des banques européennes : pour
payer les tributs de guerres perdues, compenser l’assèchement de la
manne fiscale… et maintenir leur train de vie fastueux (Moulay
Abdelaziz, qui a régné entre 1894 et 1908, a même établi des records de
dépenses inutiles). La faillite économique justifie à elle seule la mise
sous scellés de l’administration marocaine.
La France et l’Espagne
se partagent logiquement le royaume dans une sorte de
concession-délégation offerte par l’ensemble des puissances
occidentales. Si l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont fini par abdiquer
au profit de leurs deux voisins du sud, c’est avec la garantie que la
France et l’Espagne sécurisent les circuits commerciaux sur le sol
marocain. En somme : un Maroc développé, doté de routes sûres et de
moyens de transport modernes, est le moyen le plus sûr d’offrir une
plus-value économique tant convoitée par les Européens.
C’est ce
schéma qui a conduit le Maroc, après plusieurs siècles d’indépendance, à
capituler officiellement en 1912. Déjà à terre, les mains et les pieds
ligotés, le double protectorat qui lui est imposé apparaît même, comble
de l’ironie, comme le seul moyen de le “sauver”.
Paroles de sultan. “Je veux aller me reposer en France…”
Sur les circonstances entourant
la signature, par Moulay Hafid, du traité de protectorat, Ali Benhaddou
rapporte, dans L’empire des sultans, deux anecdotes croustillantes.
“Moulay Hafid, le traditionaliste, est
profondément secoué. Arrivé au pouvoir comme symbole de la résistance
aux étrangers, il ne peut admettre d’être le sultan des Français. Obsédé
par cette pensée morose, il interroge son interprète et conseiller
diplomatique, Kaddour ben Ghabrit, érudit, compétent, grand serviteur de
la France, futur directeur de l’Institut musulman de Paris :
• Pourquoi les Français restent-ils sur la côte marocaine ?
• Pour maintenir l’ordre et la sécurité, lui répond-il.
• Je comprenais cela au temps de mon
frère qui était un souverain sans force, mais moi, je suis capable tout
seul de maintenir l’ordre dans mon Etat.
• Les Français se rendront bien compte qu’il ne s’agit que d’une occupation provisoire, ajoute le conseiller.
Moulay Hafid le regarde longtemps, hoche la tête et dit :
• Quand Allah a créé la Terre, il a dit aussi que cette création était provisoire !
Gagné par le scepticisme, soumis à de
fortes pressions, Moulay Hafid proteste d’abord, menace d’abdiquer,
puis, dans la matinée du 30 mars 1912, finit par signer le Traité de
protectorat. Le dernier jour de son règne, il déclare, résigné : “Je
voudrais bien aller en France pour retrouver la paix et la sérénité”. Ce
qui fut fait sur-le-champ”.
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Chrono. Les dates-clés
• 1830. la France
occupe l’Algérie et a du mal à cacher ses visées marocaines. Lyautey,
architecte du protectorat, dira un jour : “Qu’on le veuille ou non, le
Maroc est un brûlot aux flancs de l’Algérie et, à moins d’évacuer
celle-ci, il faudra forcément y intervenir, car son anarchie a une
répercussion étroite sur notre autorité et nos intérêts algériens”.
• 1844. Moulay
Abderrahmane perd la bataille d’Isly contre la France. Seule la
particularité du contexte international retarde, alors, l’occupation du
pays. Mais les traités commerciaux se multiplient, ouvrant l’économie à
la domination progressive de plusieurs puissances occidentales
(Grande-Bretagne, France, Portugal, Espagne)
• 1845. Signature du
traité de Lalla Maghnia, qui fixe les frontières maroco-algériennes.
L’Algérie étant sous administration française, le royaume est dans la
contrainte de céder une partie de son territoire oriental.
• 1851. C’est la
famine au Maroc. Deux vaisseaux battant pavillon français mouillent dans
le port de Salé. Ils sont chargés de blé et sont aussitôt pillés. La
France bombarde Salé en représailles.
• 1860. Mohammed IV
perd la bataille de Tétouan contre l’Espagne et fait appel à la
Grande-Bretagne pour retarder une nouvelle fois l’occupation. Mais il
est obligé, en retour, de payer un tribut à ses vainqueurs espagnols :
une grande somme d’argent qu’il met deux ans à rassembler, un laps de
temps durant lequel l’Espagne occupe et contrôle entièrement la région
de Tétouan.
• 1880. Moulay Hassan
1er ratifie malgré lui les accords de la conférence de Madrid à laquelle
douze puissances occidentales ont pris part. C’est le début du
protectorat économique.
• 1902. Le Comptoir
national d’escompte de Paris (CNEP, un géant de la banque, ancêtre de
BNP Paribas) investit le Maroc, adossé à la Banque de Paris et des
Pays-Bas. C’est tout le système financier du royaume qui change de
visage, mais aussi de mains, passant des amines-comptables aux banquiers
européens.
• Février 1912. Un
mois avant l’officialisation du double protectorat franco-espagnol, les
banques européennes fondent déjà la “Compagnie générale du Maroc”.
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Une époque, un monde. Les révolutions du 19ème siècle
Deux événements majeurs ont marqué le
monde au courant de ce siècle riche en bouleversements. La révolution
industrielle et le colonialisme. Les deux sont étroitement liés puisque
l’industrialisation de l’économie a rapidement créé une pénurie en
matières premières qui a ouvert la porte à la conquête de nouveaux
marchés, vierges de toute exploitation : les colonies. La Grande
Bretagne a été, bien entendu, la pionnière en la matière, développant
son économie et dominant le monde dès la fin du 18ème siècle. Elle a été
suivie par le reste des puissances européennes tout au long du siècle
suivant. Le colonialisme est alors apparu comme un débouché naturel, un
besoin légitime. Pour la première fois dans l’histoire humaine, la
croissance économique est devenue un moyen de conquête aussi sûr que la
puissance militaire. Le Maroc, dans ce monde alors divisé en deux (les
puissants et les colonisés), ne pouvait guère échapper à son sort. Il a
rejoint, après une lente descente aux enfers, le long peloton des
dominés. Quant au caractère tardif de la colonisation, il tient plus du
miracle (les interminables querelles entre les puissances européennes
sur le partage du “gâteau” chérifien) que d’une quelconque résistance
interne.
Sélection. La biblio idéale
Charles de Foucauld (Reconnaissance du Maroc, 1888)
- Pierre Loti (Au Maroc, 1890)
- Charles-André Julien (Histoire de l’Afrique du Nord, 1931)
- André Maurois (Lyautey, 1935)
- Henri Terrasse (Histoire du Maroc, 1949)
- Brahim Boutaleb (Maâlamat Al-Maghrib et Histoire du Maroc, 1967)
- Abdellah Laroui (L’histoire du Maghreb, 1970, et Les Origines sociales et culturelles du nationalisme marocain, 1977)
- Germain Ayache (Etudes sur l’histoire du Maroc, 1979)
- Mustapha Bouaziz (Les nationalistes marocains au 20ème siècle, Chapitre 1, thèse de doctorat, 2010)
- Ali Benhaddou (L’Empire des sultans, chapitres 1 et 2, 2010)
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