Dans le tout premier cercle d’un
président de la République, il y a son aide de camp. C’est ce militaire
en uniforme, toujours tiré à quatre épingles, qui ne quitte jamais le
sillage du chef de l’État. Homme de confiance, homme de l’ombre, il est
le dépositaire des secrets de la République. Le colonel Peer de Jong a
été l’un d’eux. Il est même le seul à avoir assisté deux présidents
successifs : François Mitterrand pour la fin de son second septennat,
puis Jacques Chirac. Il livre ses souvenirs.
Peer de Jong, vous avez occupé une fonction méconnue, voire inconnue du grand public. Quel est le rôle de l’aide de camp ?
La fonction est effectivement méconnue. L’aide de camp est un homme de l’ombre. Il n’existe pas de fiche de tâches, d’organisation écrite sur ce qu’il doit faire. Il n’a qu’un chef, c’est le chef de l’État dont il dépend directement. La première mission est de régler les affaires privées du Président, c’est-à-dire tout ce qui concerne son environnement immédiat. On prépare les voyages officiels, leur sécurisation. On passe les commandes d’avions, on s’occupe des listes et de la répartition des invités, etc. On assure la liaison avec les armées, notamment sur le sujet de la dissuasion.
La fonction est effectivement méconnue. L’aide de camp est un homme de l’ombre. Il n’existe pas de fiche de tâches, d’organisation écrite sur ce qu’il doit faire. Il n’a qu’un chef, c’est le chef de l’État dont il dépend directement. La première mission est de régler les affaires privées du Président, c’est-à-dire tout ce qui concerne son environnement immédiat. On prépare les voyages officiels, leur sécurisation. On passe les commandes d’avions, on s’occupe des listes et de la répartition des invités, etc. On assure la liaison avec les armées, notamment sur le sujet de la dissuasion.
Le colonel Peer de Jong a été l’aide de camp
de François Mitterrand et Jacques Chirac. Il a écrit
un livre sur ses souvenirs et sa fonction méconnue.
La mission la plus importante est liée au nucléaire puisqu’on dispose de la valise dite nucléaire dont tout est secret défense sur le sujet. On assiste en permanence le président de la République dans tous ses déplacements. On voyage toujours à ses côtés, en voiture, avion… On dort dans un appartement à proximité. L’activité et les responsabilités sont énormes puisque vous l’accompagnez partout. Vous êtes le numéro deux avec le chef du protocole.
Comment devient-on aide de camp ?
Ce n’est pas un politique, c’est forcément un militaire issu de l’armée de terre, de l’air ou de la marine depuis Nicolas Sarkozy. Son profil est proposé au chef de l’État par le ministère de la Défense. C’est généralement quelqu’un qui dirigera un régiment après et qui était déjà au moins lieutenant-colonel ou colonel. Et on reste, généralement, deux ans en poste. Dans mon cas, je suis resté un peu plus longtemps puisque j’ai assisté le président Mitterrand sur la fin de son deuxième septennat jusqu’au début de celui de Jacques Chirac, de 1994 à 1997 donc. C’est exceptionnel.
J’avais 42 ans quand j’ai été nommé avant de devenir commandant du 3e Régiment d’Infanterie marine de Vannes. Lorsqu’on est venu me chercher pour devenir aide de camp de François Mitterrand, je suis tombé de ma chaise d’autant que je dois confesser, aujourd’hui, que je n’avais pas voté pour lui… Mais l’aide de camp est une personne à qui l’on demande notamment une grande discrétion et loyauté, on estimait que j’avais ses qualités.
Probablement. Il faut être sûr du résultat. Rien ne doit transpirer de ce qui se passe dans les coulisses, or vous êtes au courant de tout. Il faut créer le meilleur environnement possible pour le chef de l’État. Son cerveau ne doit pas penser à des choses logistiques sinon il explose en plein vol. Ce sont déjà des machines intellectuelles hypersollicitées, il doit pouvoir être complètement libéré de cela. Cela nécessite effectivement qu’il ait une grande confiance en vous. J’étais le seul en capacité de dire à François Mitterrand ou Jacques Chirac si je réalisais qu’ils ne m’écoutaient pas, qu’il fallait absolument qu’ils se concentrent sur ce que je le leur disais sinon ils risquaient de se planter.
Seul un homme de confiance peut agir de la sorte auprès de personnalités qui, en plus, détestent les surprises et les approximations. Leur vie privée ne m’appartient pas. Vous êtes structurellement un homme de confiance absolue tout en sachant maintenir une certaine distance. Et eux comptent sur vous pour cela. Vous ne devez rien laisser au hasard ou oublié. Leur phrase fétiche, d’ailleurs, qui montre à quel point vous comptez pour eux, c’est le titre de mon livre : « Vous n’oublierez rien, Colonel. »
Avez-vous été impressionné par ce que vous avez su, vu, connu de si près, de François Mitterrand et Jacques Chirac ?
J’ai été impressionné par les personnalités des hommes que j’ai servis. Ce sont vraiment des personnages hors normes, physiquement et intellectuellement. On ne peut pas être chef de l’État si on n’est pas une espèce de champion olympique. Il faut faire face à toutes les situations, tenir. Même Mitterrand atteint d’un cancer s’efforçait de tenir le choc jusqu’au bout. C’était incroyable. Jacques Chirac, lui, a toujours été soucieux de peser sur la scène internationale. Les citoyens sont parfois durs avec eux lorsqu’on ne les voit que par le petit bout de la lorgnette. Mais au quotidien, lorsqu’on observe leur rythme de vie, le travail effectué, on constate combien devenir président de la République est sacrificiel.
En réalité, il n’y a pas grand monde. Un chef d’État est souvent seul. En dehors des agents de sécurité, plus ou moins loin, et qui ne participent pas à la réflexion, il n’y a que des conseillers proches. Pour Jacques Chirac, il y avait sa fille Claude, très influente. Ensuite, son secrétaire général, Dominique de Villepin. Et les gens qu’il appréciait comme Christine Albanel. Du côté du président Mitterand, le noyau dur était composé du sénateur Michel Charras, conseil spécial ; Anne Lauvergeon, secrétaire générale adjointe, considérée comme la sherpa, elle gérait la diplomatie. Et puis Hubert Védrine qui était secrétaire général. Eux agissent sur le fond. Sur la forme, en dehors de l’aide de camp, il y a le chef de protocole, responsable de celui de Matignon et de l’Élysée mais pas de celui des armées.
François Mitterrand et Jacques Chirac vous demandaient-ils parfois votre avis ?
Bien sûr. Comme je connaissais bien l’Afrique, François Mitterrand m’a demandé beaucoup de choses au moment de la crise au Rwanda, sur les accords de défense… Et Jacques Chirac m’a posé beaucoup de questions au moment où il a réformé l’armée en la professionnalisant. Il voulait savoir comment ça fonctionnait, il voulait rajeunir l’encadrement aussi. Comme vous passez énormément de temps en voiture avec eux, il vous interroge. Et comme vous êtes aussi présent dans le privé, vous finissez par connaître leurs goûts, qui ils fréquentent, qui ils aiment ou non. Vous êtes tellement proche que vous rentrez presque dans leur environnement familial.
Non. L’aide de camp ne doit pas influencer. On a un devoir de neutralité. On se l’impose. Si on devient un véritable acteur, on ne tient pas. D’abord parce qu’on serait attaqué de toute part. Et le Président à des conseillers pour ça. En revanche, on est sans arrêt approché par des gens qui cherchent à influencer votre patron : des étrangers, des hommes politiques, des hommes d’affaires, des journalistes, etc. J’ai fait passer des messages, j’ai transmis des informations. On est un vecteur d’informations. Mais dès que je voyais un journaliste, je restais à distance. Je savais que trahir un secret était mortel. C’est parfaitement incompatible avec la mission de l’aide de camp. La République a encore quelques secrets et l’aide de camp en est le dépositaire. Il ne peut donner aucune information même pas sur le menu du Président… On me l’a parfois demandé. Je n’ai jamais rien livré. L’aide de camp intervient dans le domaine du stratégique, de la sphère privée, c’est un homme structurellement secret.
Aujourd’hui, pouvez-vous livrer, si ce n’est un secret, quelques anecdotes croustillantes ?
Non. Je m’impose toujours un devoir de réserve. Ne comptez pas sur moi pour vous livrer des secrets. Je me souviens d’anecdotes comme l’évanouissement du Premier ministre japonais qui avait plongé la tête la première dans son assiette de potage lors d’un sommet international. Ou bien de la princesse du Népal dont le talon était resté coincé dans une grille de chauffage, lors d’une cérémonie officielle à l’Élysée. Sa robe serrée l’empêche de soulever la jambe pour s’arracher du piège. Mais, je resterai fidèle à moi-même et aux hommes que j’ai servi : discret.
Est-ce une fonction bien rémunérée ?
On est rémunéré en fonction d’une grille de salaires liée à son grade. On touchait une prime de cabinet de quelques centaines d’euros jusqu’à ce que Lionel Jospin décide de la supprimer à son arrivée à Matignon. Sinon, je précise que ce n’est pas un métier auquel on peut postuler, on vient vous chercher.
Qui sont les personnes qui gravitent autour d’Emmanuel Macron ? Qui est son aide de camp ?
Je ne le sais pas. En tout cas, il n’a probablement pas les mêmes que ceux de François Hollande puisqu’encore une fois, il s’agit forcément de personnes qui doivent avoir la confiance du nouveau chef de l’État. En tout cas, ce que j’observe du président Macron depuis sa prise de fonction c’est qu’il me rappelle Mitterrand jeune. Ça m’a frappé le soir où il est arrivé en marchant au Louvre. Dans sa manière d’agir, de se comporter, de cultiver le secret, de gérer les problèmes, de répondre à la presse, c’est totalement mitterrandien, mais à un point vraiment incroyable. À croire qu’il a lu mon livre (rires).