Le président polonais a signé, ce mardi 6 février, la loi sur la Shoah destinée à défendre la Pologne contre ceux qui lui attribuent les crimes nazis. Un texte qui provoque des tensions, notamment avec Israël et les États-Unis.
C’était l’étape décisive pour qu’elle entre en vigueur. Le président polonais a signé, ce mardi 6 février, la loi controversée sur la Shoah. Le texte a pour objectif de défendre l’image du pays vis-à-vis du processus d’extermination mis en place par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. La loi prévoit trois ans de prison pour les personnes, y compris les étrangers, qui accusent « contrairement aux faits » la nation ou l’État polonais de participation aux crimes de l’Allemagne nazie
« Qu’on s’abstienne de nous diffamer »
« C’est une solution qui, d’un côté, préserve les intérêts de la Pologne, notre dignité et la vérité historique, pour que les jugements portés sur nous à travers le monde soient honnêtes, qu’on s’abstienne de nous diffamer en tant qu’État et nation, a déclaré le président. Mais, d’un autre côté, elle tient compte de la sensibilité des personnes pour qui la question de la mémoire historique de l’Holocauste reste exceptionnellement importante, et surtout de ceux qui ont survécu et qui, tant qu’ils peuvent, doivent raconter au monde leurs souvenirs de ce passé et leur expérience. »
Cette loi avait mis les conservateurs nationalistes au pouvoir en Pologne dans une situation difficile : en y renonçant ils auraient été accusés de céder aux pressions de l’étranger, mais sa promulgation risque de tendre les relations de Varsovie avec ses alliés israélien et américain.
Israël ne voit pas cette loi d’un bon oeil
Ce texte irrite et inquiète en effet ces pays. Les dirigeants israéliens y voient une tentative - que Varsovie dément - de nier la participation de certains Polonais au génocide des Juifs, voire d’empêcher les survivants de la Shoah de raconter leur expérience. Dès le vote du texte par la chambre basse du parlement polonais fin janvier, Israël l’avait vivement dénoncé. « Nous ne tolérerons pas qu’on déforme la vérité et réécrive l’Histoire ou qu’on nie l’Holocauste », avait lancé le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Andrzej Duda a demandé au Tribunal constitutionnel de vérifier sa conformité avec la loi fondamentale en ce qui concerne la liberté d’expression et la précision - qu’il trouve imparfaite - du passage imposant des peines de prison aux auteurs d’accusations. Il faut que toute personne « ayant lu la loi, soit en mesure d’identifier les comportements entraînant une responsabilité pénale et ceux qui ne l’entraînent pas », a dit le chef d’État polonais, réagissant implicitement aux critiques, notamment israéliennes. Selon elles, l’imprécision de la loi ouvrirait la voie aux poursuites contre toute personne évoquant un crime commis par des Polonais.
Après celle de Netanyahu, la réaction du ministère israélien des Affaires étrangères à la décision d’Andrzej Duda, a paru modérée, voire conciliante. « Nous espérons que dans le délai imparti avant que le Tribunal n’achève ses délibérations, nous parviendrons à nous mettre d’accord sur les changements et les corrections », indique-t-il mardi dans un communiqué.
De son côté, le mémorial de la Shoah à Jérusalem, Yad Vashem, a rappelé dans un communiqué avoir « mis en garde les autorités polonaises à plusieurs reprises contre les erreurs dans la formulation de la loi », erreurs qui « pourraient fausser la vérité historique ».
Contre l’expression « camps de la mort polonais »
Pour leur part, les États-Unis avaient exprimé leur « inquiétude » en des termes énergiques à la veille du vote du Sénat polonais le 1er février. La loi risque d’avoir des « répercussions » sur « les intérêts et relations stratégiques de la Pologne, y compris avec les États-Unis et Israël », avait mis en garde la porte-parole du département d’Etat Heather Nauert. Estimant que d’éventuelles divisions entre alliés « ne profiteraient qu’à nos rivaux ».
Aux yeux des conservateurs au pouvoir, il s’agit en priorité d’empêcher qu’on utilise l’expression « camps de la mort polonais » pour les installations des nazis allemands en Pologne occupée. Le président du Conseil européen Donald Tusk a estimé sur Twitter qu’au contraire « les auteurs de la loi ont promu dans le monde entier cette vile calomnie comme personne ne l’a fait jusqu’à présent ».
Une décision condamnée par l’opposition au pouvoir polonais
Sans changer leur position sur le fond, les dirigeants polonais ont cherché à minimiser la crise et à l’expliquer par un malentendu. Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a qualifié vendredi de « temporaire » la tension avec Israël et les États-Unis. « C’est un affaiblissement temporaire des relations avec Israël et les États-Unis, mais j’espère qu’elles vont s’améliorer bientôt, lorsque nous expliquerons notre position », a estimé Mateusz Morawiecki. Il a, par ailleurs, invité un groupe de journalistes étrangers à l’accompagner à Markowa, un village du sud-est du pays où un musée préserve la mémoire d’une famille polonaise exterminée pour avoir caché des Juifs sous l’occupation allemande.
« La Pologne a terriblement compliqué ses relations avec ses partenaires clés, les États-Unis, Israël et l’Ukraine, alors que déjà les relations au plan européen sont au plus bas. La situation est vraiment mauvaise, analyse dans ce contexte Stanislaw Mocek, politologue de l’Académie polonaise des Sciences. Le président ne pouvait pas faire autrement s’il veut être réélu. […] Envoyer la loi au Tribunal constitutionnel n’a aucune signification, c’est une institution de façade », a-t-il conclu.
L’opposition a condamné la décision d’Andrzej Duda. Selon Slawomir Neumann, un des ténors de la Plateforme civique (PO, centriste), elle « ne fera qu’approfondir la crise diplomatique et envenimer les relations internationales de la Pologne avec son partenaire le plus important pour sa sécurité, les États-Unis ».