Pourquoi la capitale russe est comparée à la Rome antique ?
En Russie, on appelle Moscou de différentes façons, la capitale ayant de nombreux noms et sobriquets. On trouve ainsi de respectueux épithètes tels que « la capitale originelle », qui indique que c'est bien Moscou qui fut le premier centre du jeune État russe, tandis que « la ville couronnée d'or » se réfère aux coupoles dorées des cathédrales moscovites. Il y en a des plus moqueurs comme « la ville pas élastique », faisant allusion au fait que malgré sa taille, il n'y a pas assez de place pour tous ceux désirant y vivre, ou encore « le grand village ». Mais « la Troisième Rome », surnom apparu dès le Moyen Âge, est l'un des plus répandus. D'où vient-il ?
Héritière de Rome et de Constantinople
Le premier à avoir qualifié Moscou de « Troisième Rome » fut le moine Philothée qui, dans des missives adressées au Grand Prince de Moscou datant de 1523–1524, appelait à lutter contre l'hérésie. La principauté de Moscou était, selon le religieux, le dernier bastion de la véritable foi. « Tous les royaumes chrétiens ont disparu et sont à présent réunis au sein de votre empire, affirmait-il dans l'une de ses lettres. Deux Rome sont tombées, mais la troisième est debout, et il n'y en aura pas de quatrième ».
Dans la terminologie de Philothée, la « Première Rome » désigne la véritable Rome, capitale de l'Empire romain ayant rassemblé sous son pouvoir des dizaines de peuples. Au IVe siècle, la Chrétienté est progressivement devenue la religion dominante dans cet empire initialement païen et Rome fut alors proclamée capitale du monde chrétien. Lui succéda ensuite Constantinople, principale ville de l'Empire byzantin, dans laquelle s'est enracinée l'orthodoxie suite au schisme ayant séparé les Églises d'Orient et d'Occident en 1054. Du point de vue des orthodoxes, la Rome catholique étant tombée et ayant sombré dans l'hérésie, Constantinople devint la « Deuxième Rome », capitale du véritable monde chrétien.
Après le baptême de la Rous' au Xe siècle, les Russes reconnurent l'autorité de l'Empereur byzantin comme protecteur de tous les chrétiens, remarque l'historienne Svetlana Lourié. Mais quelques siècles plus tard, la cité chuta à son tour : en 1453 l'Empire ottoman conquiert Constantinople, affaiblie par plusieurs crises politiques, et la renomme Istanbul. Moscou devient alors le centre de l'Orthodoxie, après avoir justement, aux XV-XVIèmes siècles, uni autour d'elle les terres divisées de Russie.
Un concept oublié
Comme l'écrit l'Américain Marshall Poe, historien et auteur de « Moscou, la Troisième Rome : Origines et Transformations d'un « moment décisif » », en Occident, le concept de « Troisième Rome » est souvent utilisé pour expliquer la politique extérieure de l'URSS, puis de la Russie, qui se base soi-disant sur des idées expansionnistes ayant pour finalité la construction d'un Empire semblable à l'Empire romain. De son côté, Poe considère cette approche comme incohérente : « Cela [le concept de Troisième Rome] ne nous apprend rien sur les tendances à long terme de la politique extérieure russe ou sur la psychologie nationale en Russie ».
L'historien assure que la signification du concept est exagérée. En réalité, après que le moine Philothée eut émis au XVIe siècle son idée de Troisième Rome, elle fut oubliée au cours des 300 ans qui suivirent. Si l'État russe s'élargissait, cela ne se faisait pas dans le but de satisfaire un quelconque fantasme de ses dirigeants visant à construire un empire orthodoxe, mais pour des raisons bien plus terre-à-terre : une lutte pour des ressources, des accès à la mer, etc.
C'est au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, sous le règne d'Alexandre II, lorsque les missives du moine furent publiées à gros tirage, que l'on redécouvrit la théorie de Philothée. Le concept de « Moscou – Troisième Rome » fut ensuite repris par les mouvements panslaves, qui rêvaient d'une unification des peuples slaves sous l'égide de l'Empire de Russie. Mais suite à la révolution de 1917 et à l'arrivée au pouvoir des communistes, les idées panslaves furent réduites à néant.
« La ville aux sept collines »
Au delà de son statut de capitale impériale, apparu au Moyen Âge, Moscou ne ressemble guère à Rome : la capitale russe possède une architecture totalement différente et un climat bien plus rude. Cependant, l'un des rares points communs dont on parle le plus est le fait que Moscou a soit-disant été bâtie sur sept collines, tout comme le fut la capitale romaine.
Alexandre Frolov, historien et spécialiste de Moscou, affirme que l'expression de « ville aux sept collines » ne correspond néanmoins pas à la réalité. Il explique en effet que dans les chroniques, on a inclus lors du décompte des « collines » de petites hauteurs que l'on peut difficilement qualifier de collines. L'unique colline de Moscou est celle de Borovitski, sur laquelle se dresse aujourd'hui le Kremlin. Selon Frolov, le reste n'est rien de plus qu'une belle légende, « le fruit de l'imagination des romantiques », dit-il. « Même si j'aimerais vraiment pouvoir qualifier Moscou de +Troisième Rome+ ».