Le Premier ministre Nétanyahou est chargé de constituer le prochain gouvernement, alors même que son rival Gantz est arrivé en tête aux élections du 17 septembre
Le président Rivlin, au centre, avec Nétanyahou et Gantz,
le 19 septembre à Jérusalem
Les élections du 17 septembre en Israël, les deuxièmes en moins de six mois, n’ont pas plus que les précédentes apporté de majorité claire à un futur gouvernement. Certes la coalition Bleu Blanc de l’ancien chef d’état-major Benny Gantz obtient le plus grand nombre de députés, avec 33 des 120 membres de la Knesset pour ce mouvement centriste. Mais le Likoud du Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, le talonne avec 32 sièges. Et aucun des deux leaders ne peut à ce stade rassembler sur son nom une coalition majoritaire à la Knesset. Ce blocage est largement dû aux exigences d’Avigdor Lieberman, dont le parti passe de 5 à 8 sièges, car cet ultra-nationaliste défend, au nom de la laïcité, un large gouvernement d’union qui exclurait les deux partis orthodoxes, forts respectivement de 9 et 7 députés. Dans un tel contexte, il est légitime de s’interroger sur qui a vraiment gagné les élections du 17 septembre.
QUI A GAGNE: BENNY GANTZ?
Gantz a répété, lors de cette campagne, les erreurs, décrites sur ce blog, qui avaient déjà conduit à sa défaite en avril dernier: il a laissé Nétanyahou définir les termes du débat; il a tenté de séduire l’électorat de droite plutôt que de constituer une alternative au centre; il s’est avéré incapable de s’adresser aux classes populaires; et il a ignoré le vote arabe au lieu de le mobiliser. Même s’il a aujourd’hui le plus grand nombre de députés, il pâtit du déclin confirmé de ses alliés de gauche, qui recueillent un seul siège de plus qu’en avril dernier, soit 6 pour le Parti travailliste et 5 pour « l’union » constituée autour du Meretz. Surtout, Gantz est soumis à la pression du président Réouven Rivlin en faveur d’un gouvernement d’union avec l’actuel Premier ministre, sur le modèle de la formule qui avait prévalu de 1984 à 1988 entre Shimon Pérès et Yitzhak Shamir. Le peu d’appétence de Gantz pour un tel attelage, visible dans sa gêne sur la photo ci-dessus, l’amène à laisser son rival en première ligne, malgré le relativement bon score de Bleu Blanc.
QUI A GAGNE: BENYAMIN NETANYAHOU?
Nétanyahou a trop vite été déclaré vaincu après l’annonce des résultats du 17 septembre. C’est lui que le président Rivlin a chargé, le 25 septembre, de constituer le futur gouvernement. De fait, Nétanyahou continue de tenir d’une main de fer le Likoud où aucune personnalité n’ose émerger face à lui. Et s’il pouvait se réconcilier avec son ancien bras droit Lieberman, il disposerait de nouveau d’une majorité de 63 députés à la Knesset, majorité clairement ancrée à la droite de la droite. L’hypothèse d’un gouvernement dont Gantz et lui occuperaient la présidence en alternance servirait l’image de Nétanyahou, alors présenté, au mépris de l’évidence, comme plaçant l’intérêt supérieur du pays au-dessus de ses considérations personnelles. La consécration serait formidable pour Nétanyahou, qui a désormais battu le record, jusque là détenu par Ben Gourion, de longévité à la tête du gouvernement d’Israël.
QUI A GAGNE: AVIGDOR LIEBERMAN?
Lieberman a d’ores et déjà réussi le tour de force de placer sa formation d’extrême-droite, Israel Beytenou (Israël, notre foyer), au coeur des tractations politiques. Il a opéré cette manoeuvre délicate en se posant en défenseur intransigeant de la laïcité, une valeur que le centre, voire la gauche avaient souvent sacrifiée à leurs arrangements avec les puissants partis orthodoxes. C’est son refus d’intégrer un gouvernement dirigé par Gantz ou Nétanyahou qui prive ainsi les deux leaders d’une majorité parlementaire, conférant à Lieberman, avec juste 8 députés, le prestige d’un « faiseur de rois ». Pour l’heure, ses exigences d’un gouvernement « d’union » entre Bleu Blanc et le Likoud semblent d’autant plus excessives qu’elles excluent Nétanyahou, les partis orthodoxes et les formations dites « arabes ». Mais le madré politicien qu’est Lieberman n’a pas dit son dernier mot, visant pour son parti et lui-même les portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur dans le prochain gouvernement.
QUI A GAGNE: AYMAN ODEH?
Venu du parti communiste, historiquement judéo-arabe, Ayman Odeh est parvenu à remporter 13 sièges pour sa « liste unifiée », soit une progression de trois députés par rapport au scrutin d’avril. Il a dû pour cela surmonter le sentiment d’exclusion des Arabes d’Israël, qui représentent un cinquième de la population, mais qui ont été régulièrement stigmatisés par Nétanyahou. Odeh pourrait devenir le chef officiel de l’opposition parlementaire à un éventuel gouvernement d’union entre Gantz et Nétanyahou. Pour l’heure, il a déjà rompu avec la neutralité ostensible des partis arabes en apportant ouvertement son soutien à la constitution d’un gouvernement Gantz, auquel il ne participerait pas. C’est la première fois depuis 1992 qu’un dirigeant arabe d’Israël a le courage d’un tel engagement, au nom de la priorité accordée à l’égalité des droits, en Israël même, sur la recherche de la paix entre Israël et un futur Etat palestinien. Encore faudrait-il que Gantz saisisse cette main tendue, ce qu’il s’est à ce stade bien gardé de faire.
Rarement le jeu politique a été aussi ouvert en Israël. Certains y verront une illustration de la vitalité de cette démocratie, d’autres la prégnance des idées martelées par Nétanyahou depuis plus d’une décennie. C’est en tout cas le Premier ministre qui, après dix ans et demi au pouvoir sans interruption, a encore jusqu’au 23 octobre pour constituer un nouveau gouvernement.