Les expériences de terrain et les recherches en sciences sociales ont amené à définir les principaux éléments à intégrer dans des stratégies coordonnées. Ces éléments sont repris dans la Déclaration Interinstitutions publiée en 2008 sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (page 15). Il est ainsi expliqué que les interventions doivent être :
Multisectorielles : il est important que la promotion de l’abandon de l’excision fasse l’objet d’une action concertée et exercée à différents niveaux, de l’échelon local à l’échelon mondial.
Durables : le changement de comportements nécessite une action de long terme. Celle-ci est la garantie d’obtenir des résultats pérennes.
Dirigées par la communauté : les communautés qui pratiquent l’excision doivent être actrices de son abandon. Les programmes doivent donc les aider à identifier elles-mêmes les problèmes et les solutions. Les interventions qui sont parvenues à mettre un terme aux mutilations sexuelles féminines étaient basées sur le dialogue autour des droits humains et l’égalité des sexes. Par ailleurs, elles évitaient les jugements de valeur et encourageaient des choix collectifs.
Les actions menées pour promouvoir l’abandon des mutilations sexuelles féminines doivent être adaptées aux contextes locaux et aux sensibilités culturelles. Il est néanmoins possible de dégager des pratiques qui semblent décisives dans les processus d’abandon au niveau communautaire et la dans création d’un contexte favorable au niveau national.
Au niveau communautaireL’éducation et l’information : des clés pour la prise de conscience
Pour accompagner les communautés vers l’abandon de l’excision, les programmes qui incluent des activités d’éducation et favorisent l’autonomisation, en particulier des femmes, ont montré leur efficacité. Sans qu’elles ne se sentent jugées ni contraintes, les communautés sont encouragées à débattre, examiner et remettre en perspective les valeurs et croyances associées aux mutilations sexuelles féminines. Dans ce cadre, l’acquisition de nouvelles connaissances relatives aux droits humains, à la santé en général, à la santé sexuelle et reproductive et à la religion est essentielle pour que les communautés identifient elles-mêmes les solutions pour mettre fin à l’excision.
Il est important que la démarche soit inclusive et associe femmes et hommes, filles et garçons. Les jeunes peuvent par exemple être sensibilisés dans le cadre d’activités menées en partenariat avec les établissements scolaires. Toutes les formes d’éducation peuvent cependant être employées, et le dialogue intergénérationnel doit être encouragé.
Le dialogue public pour parvenir à une décision collectiveL’excision est une norme sociale, ce qui signifie que décider d’abandonner la pratique ne dépend pas uniquement de ses propres préférences individuelles mais aussi et surtout des attentes réciproques au sein de la communauté dans laquelle on vit. Les parents soumettent leurs filles à l’excision pour leur garantir un avenir dans la société et parce qu’ils pensent que c’est ce que l’on attend d’eux. Par conséquent, les programmes visant à mettre un terme aux mutilations sexuelles féminines doivent amener les communautés à décider collectivement d’abandonner la pratique, de façon à ce qu’aucune fille non excisée ne soit désavantagée, ni qu’elle, ou sa famille, se retrouve exclue. Les nouvelles connaissances acquises doivent donc être discutées au niveau familial, où sont prises les décisions de faire exciser les filles, de la communauté, en associant les leaders traditionnels et religieux et des communautés voisines.
La « diffusion organisée » : élargir la décision d’abandonner à tout son réseau socialL’abandon de l’excision à grande échelle n’est imaginable que s’il est décidé par une proportion suffisamment importante du groupe au sein duquel se nouent des mariages. L’abandon des mutilations sexuelles féminines commence normalement par un premier groupe d’individus qui initie une dynamique de changement, produisant un effet multplicateur. Ce groupe, prêt à abandonner la pratique, essayera donc de convaincre les autres de l’abandonner à leur tour. Les membres de cette masse critique font connaître aux autres leur intention d’abandonner la pratique – un processus qui se nomme « diffusion organisée » – jusqu’à ce qu’une portion suffisamment importante de la communauté où se nouent les mariages soit prête à abandonner les MSF.
Les cérémonies publiques d’abandon : montrer que la norme a changéLa décision d’abandon doit par ailleurs être explicite et publique, de façon à ce que les familles soient convaincues que la norme et les attentes qui y sont liées ont changé. Cet engagement public peut prendre la forme de déclarations écrites, affichées publiquement et signées par ceux qui ont décidé d’abandonner l’excision. Les communautés peuvent également se rassembler au cours de cérémonies festives, auxquelles participent celles et ceux qui ont participé aux programmes de sensibilisation et d’éducation, les chefs traditionnels et religieux, les autorités gouvernementales et locales, les médias et d’autres communautés n’ayant pas encore rejoint le mouvement d’abandon.
Dans les communautés où les mutilations sexuelles féminines accompagnent traditionnellement des rites de passage à l’âge adulte, des rituels de remplacement peuvent être trouvés. Ceux-ci permettent de renforcer les valeurs positives traditionnelles et peuvent être associés à une éducation aux droits humains ou sur la santé sexuelle et reproductive.
Certains programmes associent enfin des activités de sensibilisation communautaires à des activités destinées à trouver un nouveau rôle et de nouvelles sources de revenus pour les exciseuses.
Au niveau nationalL’évolution des comportements au niveau communautaire doit s’inscrire dans un contexte favorable à l’abandon des mutilations sexuelles féminines.
La réforme de la législation et des politiques
Des mesures juridiques sont importantes pour que la désapprobation du gouvernement vis-à-vis des mutilations sexuelles féminines soit explicite, pour soutenir ceux qui ont abandonné la pratique ou qui souhaitent le faire et pour jouer un rôle dissuasif. Les mutilations sexuelles féminines sont pénalement condamnées dans 24 de ces 29 pays où elles sont pratiquées.
Toutefois, se contenter d’imposer des sanctions fait courir le risque de voir la pratique devenir clandestine. Les mesures juridiques doivent être accompagnées de campagnes d’information et d’autres mesures visant à promouvoir un soutien accru de l’opinion en faveur de l’abandon de la pratique.
La mise en place des programmes et des services de santé pertinents
La prise en charge des mutilations sexuelles féminines doit faire partie de programmes permettant une maternité sans risque, un accompagnement psychosocial, la prévention et le traitement des infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/sida, la prise en charge des violences envers les femmes etc.
Le personnel soignant doit être formé au repérage et à la prise en charge des complications liées aux mutilations sexuelles féminines.
Afin d’éviter la médicalisation de l’excision, les normes en matière d’éthique médicale doivent énoncer clairement que la pratique des MSF constitue une violation des principes professionnels et des droits humains. Elles doivent également permettre de poursuivre et de retirer l’autorisation d’exercer aux professionnels de santé exerçant cette pratique.
Des programmes de sensibilisation par les médias
Les médias ont un rôle déterminant à jouer comme vecteurs d’informations concernant les mutilations sexuelles féminines et les évolutions sociales relatives à l’abandon au sein des communautés. Ils peuvent également constituer un espace d’échanges et de discussions sur les mutilations sexuelles féminines, et contribuer ainsi à la l’élaboration de consensus locaux, régionaux ou nationaux.
Dans les pays où l’excision n’est pas traditionnellement pratiquée (pays de migration.
Créer des ponts entre les pays d’origine et les communautés de diaspora
La pratique de l’excision est susceptible de concerner l’ensemble des membres d’une communauté, y compris ceux de la diaspora. Il est par conséquent impératif d’établir des liens au-delà des frontières nationales et de poursuivre les efforts menés dans les pays d’origine au sein des populations qui se sont installées dans de nouveaux pays.
Des approches coordonnées entre les pays d’origine et les pays de migration doivent pouvoir permettre de faire connaître aux communautés de diaspora les progrès réalisés dans l’abandon de l’excision au sein de leur communauté d’origine. Une dynamique positive peut ainsi se mettre en place, où les membres de la diaspora peuvent être influencés par les évolutions en cours dans leur communauté d’origine ou bien devenir eux-mêmes des moteurs de ce changement grâce à leur influence sociale et économique.
Agir sur les territoires nationaux
La France fait partie des pays pionniers au niveau européen dans la lutte contre l’excision. Les autorités françaises et les réseaux associatifs se sont saisis de la question dès le début des années 80. Le pays est en effet concerné puisque selon les estimations de l’INED datant de 2004, 53 000 femmes ayant subi une excision vivraient sur le territoire.
La législation a été renforcée au fil des années et elle est aujourd’hui en mesure de protéger les filles sur le sol français et à l’étranger d’une mutilation ou d’un risque de mutilation. Les associations et les autorités socio-sanitaires mènent également un travail de longue date en matière de prévention, qui porté ses fruits, notamment sur les filles de 0 à 6 ans.
Le territoire dispose par ailleurs d’un ensemble d’unités de soins pluridisciplinaires où les femmes excisées peuvent bénéficier d’un accompagnement adapté.
En novembre 2013, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un nouvel avis sur les mutilations sexuelles féminines. La CNCDH appelle ainsi à poursuivre les efforts menés en matière de prévention, de protection et de répression, avec l’appui de tous les secteurs concernés : la santé, la justice, l’éducation et le secteur social.
D’autres pays européens se sont emparés de la question, comme la Belgique, où un réseau d’acteurs a mis en place en 2008 une plateforme de concertation et de coordination des actions relatives aux mutilations sexuelles féminines.
Quels sont les acteurs clés dans l’abandon de l’excision ?