C’est près de Taza, aux alentours du parc national de Tazekka, que l'on dénombre le plus grand nombre de grottes, pas moins de 365. Celle de Friouato est la plus célèbre et la plus visitée par les touristes. Mais elle est fermée depuis 2016 après un accident mortel. Deux importants obstacles empêchent l’exploitation optimale de ce patrimoine touristique: une ambiguïté juridique et l’insécurité. Le microcosme des spéléologues tire la sonnette d’alarme.
Le plus grand nombre de grottes marocaines se trouve dans la région de Taza, aux alentours du parc national Tazekka. Pour atteindre ce dernier à partir de la ville de Fès, le mieux est d’emprunter la route secondaire n°311 qui mène jusqu’à Taza. A peine une vingtaine de km après le barrage Bab Louta, relevant de la commune de Tahla, on est déjà en pleines forêts de cèdre de l’Atlas, de chênes et de thuya, et ça continue jusqu’à Bab Boudir (une commune rurale relevant de Taza, 7.000 âmes), à une vingtaine de km de Taza. Tazekka («pyramide» en berbère), c’est le nom de la montagne culminant à près de 2.000 mètres d’altitude. Ce mont reçoit de bonnes quantités de neige d’octobre au mois d’avril, et alimente en eau abondante le parc naturel du même nom. C’est l’un des plus beaux parcs naturels du pays, grand de 12.000 hectares, riche de sa flore, sa faune et ses 500 espèces de plantes, dont le cœur est la cédraie. La pluviométrie dans cette région du Moyen Atlas est d’ailleurs la plus forte du pays, avec près de 2.000 mm par an, sur une moyenne nationale ne dépassant pas 600 mm. Et c’est l’abondance de ces eaux qui explique bien, selon les géographes et les spéléologues, le nombre important de grottes dans cette région du Maroc, des gouffres creusés depuis des millénaires par l’action des eaux météoriques. On y dénombre pas moins de 365 -sur le millier découvert jusqu’à aujourd’hui au Maroc-, «dont seulement quelque 220 sont répertoriées», nuance Mamoune Amrani Marrakchi, enseignant chercheur à l’Université Hassan-II de Casablanca.
Mamoune est un passionné de la spéléologie depuis sa jeunesse, et d'explorateur amateur des grottes, il en devient un professionnel. C’est lui qui a créé le seul centre de formation en spéléologie au Maroc, dans la même université, et fondé, déjà en 1989, l’Association marocaine de spéléologie (AMS), après une thèse de fin de cycle soutenue en France intitulée «Spéléologie et possibilités d’un tourisme des profondeurs».
Le plus grand d’Afrique du Nord et le plus célèbre de ces gouffres est Friouato, qui veut dire en berbère «le gouffre du vent». Comme toutes les merveilles de la nature, s’est tissée autour de la grotte toute une légende, une histoire d’amour malheureuse, encore racontée jusqu’à nos jours par les habitants de la région. Elle nous rappelle celle tissée autour des deux lacs Isli et Tisli non loin d’Imilchil. Une jeune et belle fille du coin nommée Yto avait un amant qui s’appelait Assoukh. La famille s’opposant à leur mariage, ce dernier fut contraint d’épouser une autre jeune fille. Inconsolable, Assoukh finit par mettre fin à ses jours dans un autre gouffre (non loin de la région) qui porte désormais son nom. Meurtrie aussi par le chagrin de la séparation, sa dulcinée alla verser toutes ses larmes au bord du gouffre de Friouato, de son vrai nom Friito «le gouffre de Yto».
Découverte en 1930 par un groupe de Marocains et d’explorateurs français -Élisabeth et Norbert Casteret-, cette cavité se transforme, depuis, au fil des ans, en un site touristique très visité par les nationaux et les étrangers. Mais elle ne fut ouverte au grand public qu’aux années 1980. Voilà un gouffre profond de 285 mètres, 4 km de progression, composé de stalactites, de lacs et de rivières souterrains, de galeries, de puits argileux, d’écritures rupestres et d’autres tableaux de roches multicolores….
C’est le plus fréquenté, aussi bien par les «grottarts» (les touristes des grottes) que par les spéléologues, malgré son accès difficile et l’obscurité qui y règne: il faut être équipé de torches et être obligatoirement accompagné d’un guide pour s’y aventurer. Mais il y a un hic. A notre grande déception, en y arrivant en ce mois de mai 2018, nous trouvons la grotte fermée aux visiteurs. Depuis sa porte d’entrée, on peut apercevoir le parc de Tazekka, et au loin, quelques sommets du Moyen Atlas, dont Bouiblane, le plus haut avec ses 3.190 mètres. Mais impossible de descendre dans le gouffre pour apprécier ses trésors. Sa fermeture remonte à 2016, lorsqu’un accident tragique s’y produisit: une enseignante accompagnant ses élèves lors d’une excursion scolaire y trouva la mort suite à un éboulement rocheux. Ses élèves ont subi quelques blessures sans gravité, mais l’incident tira la sonnette d’alarme sur l’état de sécurité de cette cavité, et poussa la commune Bab Boudir qui l’exploite à la fermer aux visiteurs, en attendant quelques réparations et aménagements qui rendraient le site plus sûr.
Devant l’entrée du gouffre, nous ne trouvons le moindre visiteur, seulement un jeune diplômé chômeur natif de la région, qui attend patiemment quelques curieux qui viendraient éventuellement demander des renseignements sur la grotte, son histoire et ses secrets. Azzouz Bouabid, c’est son nom, est un licencié en histoire, son mémoire de fin d’études a porté justement sur la réserve de Tazekka et le tourisme des profondeurs, et ça tombe bien puisqu’il connaît, du moins partiellement, les raisons de la fermeture de la grotte. L’incident tragique a bien eu lieu, et c’est la raison de sa fermeture, «mais elle n’est pas la seule», nuance-t-il. Autour de son exploitation et les rentrées d’argent qu’elle génère, il y aurait un conflit fratricide entre la commune Bab Boudir, dont elle relève, et le Commissariat aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification (CEFLCD). Après avoir titré le foncier du parc naturel Tazekka qui lui appartient, dans la foulée de sa labellisation par l’Unesco en tant que patrimoine culturel universel de l’humanité, le CEFLCD réclame ses droits d’exploitation du site puisqu’il se trouve sur son périmètre titré. De réunion en réunion entre les deux entités, aucun accord n’a été trouvé, les deux adversaires finissent par porter l’affaire devant le tribunal administratif de Fès. En attendant le jugement, le site est fermé.
Des grottes, on en trouve partout au Maroc. Le pays est pour la spéléologie un terrain particulièrement favorable, eu égard à l’importance des affleurements de formation calcaire s’étendant sur une superficie de cent mille km2, et par la portée considérable des réseaux karstiques qu’elles renferment. Il s’agit donc d’une richesse scientifique, économique, écologique, touristique et sportive.
Ces grottes se trouvent dans la région de Beni Mellal-Azilal, dans la région d’Agadir, dans l’Oriental…, mais le plus grand nombre se trouve dans la région de Taza. A 28 km de Bab Boudir, dans cette dernière, la grotte Chaâra (appelée aussi rivière souterraine) est décrite comme un toboggan caché par une forêt de chênes verts, débouchant sur une immense galerie annonçant le départ d’une balade souterraine du Moyen Atlas, dans le lit même de la rivière Chaâra. Rivière permanente et active le long des quatre saisons. Le total de son développement, fixé provisoirement à 7.650 m (voire 10 km selon certains) fait d’elle la deuxième plus longue grotte du Maroc et la quatrième d’Afrique. «C’est la grotte la plus difficile de la région de Taza. Elle est horizontale, c’est la plus belle des spéléothèmes au Maroc», estime Mamoune Amrani Marrakchi, spéléologue. Appelés aussi concrétions, les spéléothèmes sont des dépôts minéraux précipités dans une cavité naturelle souterraine.
Patrimoine biologique qu’il faut protéger de la pollution qui le guette
La grotte Friouato est en effet un bijou qui allèche nombre de protagonistes, elle reçoit jusqu’à 20.000 visiteurs annuellement, et ce chiffre a sauté jusqu’à 30.000 après la projection par
la chaîne 2M, entre 2005 et 2009, d’un film documentaire sur le site appelé «Les mille et une grottes du Royaume», coréalisé par Mamoune Amrani lui-même. Ce dernier nous lève le voile un peu plus sur le sort de cette grotte et les raisons réelles de sa fermeture. Le problème de gestion est général à toutes les grottes du Royaume, nous signale-t-il, et pas l’apanage de Friouato.
«Juste après l’accident de la grotte Friouato, les autorités locales m’ont appelé pour consultation, en tant qu’expert et président de l’Association marocaine de spéléologie et de la Fédération regroupant plusieurs ONG. J’ai envoyé un courrier au procureur du Roi à Taza pour attirer son attention sur l’ambiguïté juridique qui empêche l’exploitation de ce gouffre dans les meilleures conditions possibles, car il y a un vide en la matière», précise notre spéléologue. Selon lui, personne ne sait à qui appartient réellement ce patrimoine et qui devrait le gérer: le ministère de l’Intérieur? Du Tourisme? De la Culture? De l’Education nationale?... Au départ, le problème s’est posé surtout pour la grotte du Chameau dans l’Oriental. «Elle subit le même sort que Frioauto: la fermeture», poursuit notre interlocuteur.
Celle de Friouato appartient en principe à la commune de Bab Boudir, et cette dernière la cédait à un gérant privé. Au moment de l’accident, en 2016, c’est «l’association Firouato pour le développement du tourisme» appartenant à une grande famille dans la région qui l’exploitait, en contrepartie de 60.000 DH par an. Sauf que cette dernière n’a pas déboursé ses arriérés, «soit la somme de 1,2 millions de DH», selon une source des Eaux et forêts. Après l’accident, la commune décide alors de fermer la grotte jusqu’au recouvrement de ses dettes, et porte l’affaire devant la justice pour réclamer de l’association qui exploitait le gouffre le payement de son passif. «Nous avons envoyé un courrier à 7 ministères, reprend Amrani, pour demander au moins un cadre juridique afin de délimiter les responsabilités. Ces cavernes sont une richesse inestimable de notre pays, un patrimoine biologique qu’il faut protéger de la pollution qui le guette, des tonnes d’ordures se déversant sur elles chaque jour en toute impunité», déplore notre interlocuteur. Le conflit autour de l’exploitation de la grotte Friouato n’oppose donc pas la commune Bab Boudir et les Eaux et forêts, mais bien la première et la famille qui gère ce bien. Selon une source du parc naturel de Tazekka, -lequel relève du Commissariat aux eaux et forêts-, le directeur de ce dernier aurait proposé, pour débloquer la situation de la grotte et la rouvrir aux visiteurs, de procéder à un nouvel appel à projet pour son exploitation. «La commune Bab Boudir s’y oppose formellement, craignant que la même association débitrice remporte le marché», indique notre source.
«C’est le Nicolas Hulot marocain en matière de spéléologie», décrivent quelques-unes de ses connaissances, tellement il connaît ce domaine pour avoir, depuis déjà les années 1980, exploré les plus importantes grottes du Maroc. Plus, à son actif, la création d’un centre de formation en spéléologie à l’Université Hassan-II de Casablanca, l’Association marocaine de spéléologie (AMS) en 1989, et la Fédération marocaines des spéléologues. Mamoune Amrani Marrakchi, c’est de lui qu’il s’agit, a aussi coréalisé un film documentaire sur le sujet titré «Les mille et une grottes du Royaume», passé entre 2005 et 2009 sur la chaîne 2M. Sauf que la comparaison avec l’explorateur français le met un peu mal à l’aise. Nicolas Hulot est un homme d’affaires, rétorque-t-il, «aux moyens gigantesques. Moi, j’essaie, avec les moyens modestes dont je dispose, de donner le meilleur de moi-même en matière de spéléologie, faire connaître cette passion et cette science aux Marocains, et les aider à s’y lancer s’ils le désirent». Le documentaire sur les grottes produit par 2M a été en effet réalisé avec des moyens basiques, soit «l’indispensable matériel pour filmer», se rappelle-t-il: 2 simples caméras, un seul caméraman, et deux mulets.... Le commentaire du film, c’est lui-même qui l’a écrit, mais c’est Brahim Salaki qui l’a fait écouter aux téléspectateurs. Une partie de ce documentaire a été consacrée à la grotte Friouato, située à une vingtaine de km de Taza, la plus connue dans cette région, et la plus visitée par les touristes. C’est la première aménagée pour le grand public aux années 1980. Elle recevait jusqu’à 20.000 visiteurs par an. «L’année de la projection du documentaire, ce sont 30.000 visiteurs qui sont allés la découvrir», précise notre spéléologue. Mamoune s’est initié à la spéléologie alors qu’il était encore lycéen, ce fut aux années 1970, quand il est parti, seul, escalader un jour les cascades d’oued El Maleh près de Mohammédia. Cette première exploration l’a marqué à vie. Puis il est parti à Paris, faire ses études de géographie et d’urbanisme. Il y est resté 10 ans, pendant lesquels il s’est frotté aux chevronnés des grottes au sein d’un club de spéléologie parisien. Sa thèse de fin de cycle, il l’a consacrée aux «Grottes au Maroc et tourisme des profondeurs».
Rentré au pays, il dédie toute son énergie et ses connaissances à la spéléologie, dans le cadre de l’Association marocaine de spéléologie (AMS) qu’il a créée en 1989. Enseignant chercheur à l’Université Hassan-II de Casablanca, Pr Amrani Marrakchi met en place, en 2014, le Centre universitaire de formation en spéléologie. Entre autres objectifs visés, outre la spéléologie proprement dite: créer des passerelles, dit-il, «avec d’autres disciplines et autres branches de recherche comme l’hydrogéologie, la biologie, la sismologie, la météorologie, l’étude de la faune et de la flore cavernicoles… Or, faute d’un laboratoire sur place pour analyser nous-mêmes ces dernières, ce sont des chercheurs étrangers qui viennent prendre des espèces de cette faune et flore pour le faire dans leurs propres laboratoires».
A ce vide juridique dont souffrent les grottes s’ajoute leur insécurité. Particulièrement celle de Friouato, où eut lieu le drame d’avril 2016. Mamoun Amrani l’explique ainsi: «Nous sommes dans un pays calcaire, avec un passé tectonique important qui a provoqué des fissures à l’intérieur de ces grottes, des éboulements de roches sont ainsi fréquents. Autre problème, celui de gel-dégel. La glace qui se constitue pendant l’hiver dans ces fissures se dégèle pendant la saison chaude, et donc c’est le volume de l’eau qui augmente, provoquant l’explosion de la roche». Pour résoudre ce problème et éviter d’autres drames dans le futur, la Fédération marocaine (FMS) des spéléologues a préparé tout un dossier technique sur le danger d’insécurité qui guette les grottes, et pas seulement celle de Friouato. Pour cette dernière, elle a proposé d’injecter du béton pour colmater les fissures qui ronge la roche et empêcher ainsi l’infiltration des eaux à l’intérieur. Et couvrir la roche d’un filet métallique de sécurité. «La FMS n’a encore reçu aucune réponse à sa requête», déplore M. Amrani.
580 ha. Cette dernière s’est étendue, en 2005, à 13.737 ha. La faune du Tazekka, selon un document du Haut-commissariat aux eaux et forêt et à la lutte contre la désertification (dont relève le parc), comprend plus de 30 espèces de mammifères, dont le sanglier, le hérisson d’Algérie, le lièvre, l’écureuil, le porc épic, le chacal, le renard, la belette, la loutre, la genette et la mangouste, 83 espèces d’oiseaux dont les plus remarquables sont des rapaces utilisant les falaises du site. Deux espèces de grands mammifères ont été réintroduites dans ce parc, il s’agit du cerf de Berbérie, qui peut atteindre jusqu’à 200 kg (il dispose désormais d’un enclos de 500 hectares), et du mouflon à manchettes.
Le parc national de Tazekka offre en outre aux visiteurs une diversité biologique remarquable caractérisée par la présence de formations forestières très anciennes, datant de plus de 600 ans. Au parc se trouve l’une des grottes les plus profondes du pays, le gouffre de Friouato, qui constitue une curiosité tant pour les spéléologues que pour les passionnés amateurs des grottes.
La grotte de Friouato a été découverte en 1930 par un groupe de Marocains et d’explorateurs français -Élisabeth et Norbert Casteret-. Mais elle ne fut ouverte au grand public qu’aux années 1980. Ce gouffre, profond de 285 mètres, comprend notamment 4 km de progression. Il est composé de stalactites, de lacs et de rivières souterrains, de galeries, de puits argileux, d’écritures rupestres et d’autres tableaux de roches multicolores…
Le plus grand d’Afrique du Nord et le plus célèbre de ces gouffres est Friouato, qui veut dire en berbère «le gouffre du vent». Comme toutes les merveilles de la nature, s’est tissée autour de la grotte toute une légende, une histoire d’amour malheureuse, encore racontée jusqu’à nos jours par les habitants de la région. Elle nous rappelle celle tissée autour des deux lacs Isli et Tisli non loin d’Imilchil. Une jeune et belle fille du coin nommée Yto avait un amant qui s’appelait Assoukh. La famille s’opposant à leur mariage, ce dernier fut contraint d’épouser une autre jeune fille. Inconsolable, Assoukh finit par mettre fin à ses jours dans un autre gouffre (non loin de la région) qui porte désormais son nom. Meurtrie aussi par le chagrin de la séparation, sa dulcinée alla verser toutes ses larmes au bord du gouffre de Friouato, de son vrai nom Friito «le gouffre de Yto».
Découverte en 1930 par un groupe de Marocains et d’explorateurs français -Élisabeth et Norbert Casteret-, cette cavité se transforme, depuis, au fil des ans, en un site touristique très visité par les nationaux et les étrangers. Mais elle ne fut ouverte au grand public qu’aux années 1980. Voilà un gouffre profond de 285 mètres, 4 km de progression, composé de stalactites, de lacs et de rivières souterrains, de galeries, de puits argileux, d’écritures rupestres et d’autres tableaux de roches multicolores….
L'entrée du parc naturel de Tazekka
Devant l’entrée du gouffre, nous ne trouvons le moindre visiteur, seulement un jeune diplômé chômeur natif de la région, qui attend patiemment quelques curieux qui viendraient éventuellement demander des renseignements sur la grotte, son histoire et ses secrets. Azzouz Bouabid, c’est son nom, est un licencié en histoire, son mémoire de fin d’études a porté justement sur la réserve de Tazekka et le tourisme des profondeurs, et ça tombe bien puisqu’il connaît, du moins partiellement, les raisons de la fermeture de la grotte. L’incident tragique a bien eu lieu, et c’est la raison de sa fermeture, «mais elle n’est pas la seule», nuance-t-il. Autour de son exploitation et les rentrées d’argent qu’elle génère, il y aurait un conflit fratricide entre la commune Bab Boudir, dont elle relève, et le Commissariat aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification (CEFLCD). Après avoir titré le foncier du parc naturel Tazekka qui lui appartient, dans la foulée de sa labellisation par l’Unesco en tant que patrimoine culturel universel de l’humanité, le CEFLCD réclame ses droits d’exploitation du site puisqu’il se trouve sur son périmètre titré. De réunion en réunion entre les deux entités, aucun accord n’a été trouvé, les deux adversaires finissent par porter l’affaire devant le tribunal administratif de Fès. En attendant le jugement, le site est fermé.
Grotte Chaâra, la plus longue du Maroc (7.650 m)
Des grottes, on en trouve partout au Maroc. Le pays est pour la spéléologie un terrain particulièrement favorable, eu égard à l’importance des affleurements de formation calcaire s’étendant sur une superficie de cent mille km2, et par la portée considérable des réseaux karstiques qu’elles renferment. Il s’agit donc d’une richesse scientifique, économique, écologique, touristique et sportive.
Ces grottes se trouvent dans la région de Beni Mellal-Azilal, dans la région d’Agadir, dans l’Oriental…, mais le plus grand nombre se trouve dans la région de Taza. A 28 km de Bab Boudir, dans cette dernière, la grotte Chaâra (appelée aussi rivière souterraine) est décrite comme un toboggan caché par une forêt de chênes verts, débouchant sur une immense galerie annonçant le départ d’une balade souterraine du Moyen Atlas, dans le lit même de la rivière Chaâra. Rivière permanente et active le long des quatre saisons. Le total de son développement, fixé provisoirement à 7.650 m (voire 10 km selon certains) fait d’elle la deuxième plus longue grotte du Maroc et la quatrième d’Afrique. «C’est la grotte la plus difficile de la région de Taza. Elle est horizontale, c’est la plus belle des spéléothèmes au Maroc», estime Mamoune Amrani Marrakchi, spéléologue. Appelés aussi concrétions, les spéléothèmes sont des dépôts minéraux précipités dans une cavité naturelle souterraine.
Patrimoine biologique qu’il faut protéger de la pollution qui le guette
La grotte Friouato est en effet un bijou qui allèche nombre de protagonistes, elle reçoit jusqu’à 20.000 visiteurs annuellement, et ce chiffre a sauté jusqu’à 30.000 après la projection par
«Juste après l’accident de la grotte Friouato, les autorités locales m’ont appelé pour consultation, en tant qu’expert et président de l’Association marocaine de spéléologie et de la Fédération regroupant plusieurs ONG. J’ai envoyé un courrier au procureur du Roi à Taza pour attirer son attention sur l’ambiguïté juridique qui empêche l’exploitation de ce gouffre dans les meilleures conditions possibles, car il y a un vide en la matière», précise notre spéléologue. Selon lui, personne ne sait à qui appartient réellement ce patrimoine et qui devrait le gérer: le ministère de l’Intérieur? Du Tourisme? De la Culture? De l’Education nationale?... Au départ, le problème s’est posé surtout pour la grotte du Chameau dans l’Oriental. «Elle subit le même sort que Frioauto: la fermeture», poursuit notre interlocuteur.
Celle de Friouato appartient en principe à la commune de Bab Boudir, et cette dernière la cédait à un gérant privé. Au moment de l’accident, en 2016, c’est «l’association Firouato pour le développement du tourisme» appartenant à une grande famille dans la région qui l’exploitait, en contrepartie de 60.000 DH par an. Sauf que cette dernière n’a pas déboursé ses arriérés, «soit la somme de 1,2 millions de DH», selon une source des Eaux et forêts. Après l’accident, la commune décide alors de fermer la grotte jusqu’au recouvrement de ses dettes, et porte l’affaire devant la justice pour réclamer de l’association qui exploitait le gouffre le payement de son passif. «Nous avons envoyé un courrier à 7 ministères, reprend Amrani, pour demander au moins un cadre juridique afin de délimiter les responsabilités. Ces cavernes sont une richesse inestimable de notre pays, un patrimoine biologique qu’il faut protéger de la pollution qui le guette, des tonnes d’ordures se déversant sur elles chaque jour en toute impunité», déplore notre interlocuteur. Le conflit autour de l’exploitation de la grotte Friouato n’oppose donc pas la commune Bab Boudir et les Eaux et forêts, mais bien la première et la famille qui gère ce bien. Selon une source du parc naturel de Tazekka, -lequel relève du Commissariat aux eaux et forêts-, le directeur de ce dernier aurait proposé, pour débloquer la situation de la grotte et la rouvrir aux visiteurs, de procéder à un nouvel appel à projet pour son exploitation. «La commune Bab Boudir s’y oppose formellement, craignant que la même association débitrice remporte le marché», indique notre source.
Le Nicolas Hulot marocain en spéléologie
«C’est le Nicolas Hulot marocain en matière de spéléologie», décrivent quelques-unes de ses connaissances, tellement il connaît ce domaine pour avoir, depuis déjà les années 1980, exploré les plus importantes grottes du Maroc. Plus, à son actif, la création d’un centre de formation en spéléologie à l’Université Hassan-II de Casablanca, l’Association marocaine de spéléologie (AMS) en 1989, et la Fédération marocaines des spéléologues. Mamoune Amrani Marrakchi, c’est de lui qu’il s’agit, a aussi coréalisé un film documentaire sur le sujet titré «Les mille et une grottes du Royaume», passé entre 2005 et 2009 sur la chaîne 2M. Sauf que la comparaison avec l’explorateur français le met un peu mal à l’aise. Nicolas Hulot est un homme d’affaires, rétorque-t-il, «aux moyens gigantesques. Moi, j’essaie, avec les moyens modestes dont je dispose, de donner le meilleur de moi-même en matière de spéléologie, faire connaître cette passion et cette science aux Marocains, et les aider à s’y lancer s’ils le désirent». Le documentaire sur les grottes produit par 2M a été en effet réalisé avec des moyens basiques, soit «l’indispensable matériel pour filmer», se rappelle-t-il: 2 simples caméras, un seul caméraman, et deux mulets.... Le commentaire du film, c’est lui-même qui l’a écrit, mais c’est Brahim Salaki qui l’a fait écouter aux téléspectateurs. Une partie de ce documentaire a été consacrée à la grotte Friouato, située à une vingtaine de km de Taza, la plus connue dans cette région, et la plus visitée par les touristes. C’est la première aménagée pour le grand public aux années 1980. Elle recevait jusqu’à 20.000 visiteurs par an. «L’année de la projection du documentaire, ce sont 30.000 visiteurs qui sont allés la découvrir», précise notre spéléologue. Mamoune s’est initié à la spéléologie alors qu’il était encore lycéen, ce fut aux années 1970, quand il est parti, seul, escalader un jour les cascades d’oued El Maleh près de Mohammédia. Cette première exploration l’a marqué à vie. Puis il est parti à Paris, faire ses études de géographie et d’urbanisme. Il y est resté 10 ans, pendant lesquels il s’est frotté aux chevronnés des grottes au sein d’un club de spéléologie parisien. Sa thèse de fin de cycle, il l’a consacrée aux «Grottes au Maroc et tourisme des profondeurs».
Rentré au pays, il dédie toute son énergie et ses connaissances à la spéléologie, dans le cadre de l’Association marocaine de spéléologie (AMS) qu’il a créée en 1989. Enseignant chercheur à l’Université Hassan-II de Casablanca, Pr Amrani Marrakchi met en place, en 2014, le Centre universitaire de formation en spéléologie. Entre autres objectifs visés, outre la spéléologie proprement dite: créer des passerelles, dit-il, «avec d’autres disciplines et autres branches de recherche comme l’hydrogéologie, la biologie, la sismologie, la météorologie, l’étude de la faune et de la flore cavernicoles… Or, faute d’un laboratoire sur place pour analyser nous-mêmes ces dernières, ce sont des chercheurs étrangers qui viennent prendre des espèces de cette faune et flore pour le faire dans leurs propres laboratoires».
A ce vide juridique dont souffrent les grottes s’ajoute leur insécurité. Particulièrement celle de Friouato, où eut lieu le drame d’avril 2016. Mamoun Amrani l’explique ainsi: «Nous sommes dans un pays calcaire, avec un passé tectonique important qui a provoqué des fissures à l’intérieur de ces grottes, des éboulements de roches sont ainsi fréquents. Autre problème, celui de gel-dégel. La glace qui se constitue pendant l’hiver dans ces fissures se dégèle pendant la saison chaude, et donc c’est le volume de l’eau qui augmente, provoquant l’explosion de la roche». Pour résoudre ce problème et éviter d’autres drames dans le futur, la Fédération marocaine (FMS) des spéléologues a préparé tout un dossier technique sur le danger d’insécurité qui guette les grottes, et pas seulement celle de Friouato. Pour cette dernière, elle a proposé d’injecter du béton pour colmater les fissures qui ronge la roche et empêcher ainsi l’infiltration des eaux à l’intérieur. Et couvrir la roche d’un filet métallique de sécurité. «La FMS n’a encore reçu aucune réponse à sa requête», déplore M. Amrani.
Le parc de Tazekka et ses 13.737 hectares
Au sud-ouest de la ville de Taza, s’imposent au visiteur le massif de Tazekka et sa cédraie. C’est là où a été créé, en 1950, le Parc national de Tazekka (PNT), sur une superficie initiale deLe parc national de Tazekka offre en outre aux visiteurs une diversité biologique remarquable caractérisée par la présence de formations forestières très anciennes, datant de plus de 600 ans. Au parc se trouve l’une des grottes les plus profondes du pays, le gouffre de Friouato, qui constitue une curiosité tant pour les spéléologues que pour les passionnés amateurs des grottes.
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