Abou Simbel fait partie des monuments les plus emblématiques de l’Égypte ancienne. Il faut dire qu’il bénéficie d’une architecture singulière avec ses deux façades colossales. Son histoire moderne pendant laquelle il fût sauvé in extremis des eaux grâce à une mobilisation internationale d’une ampleur inédite, lui confère également une notoriété immense.
On vient donc à Abou Simbel visiter cette merveille antique. C’est loin et isolé de tout : 1h30 de vol depuis Assouan, ou 3h de route en convoi, mais ça vaut le détour. Malheureusement, ce n’est le plus souvent qu’un détour de tout au plus une paire d’heures à peine sur place, comme si le monument était la seule chose existante à Abou Simbel. Il est vrai que dans le court trajet entre l’aéroport et le site, on ne perçoit pas grand-chose. Et pourtant… vous êtes en Nubie.
La Nubie est une région à cheval entre Égypte et Sudan. Traversée par le Nil, elle n’en reste pas moins une région totalement désertique, puisque ses rives sont faites de falaises ne permettant pas une agriculture en vallée. Les nombreuses cataractes ne permettaient pas non plus la navigation. La région est donc longtemps restée isolée ce qui lui vaut une singularité ethnique et culturelle préservée. Pour autant, elle donna une dynastie de pharaons à l’Égypte (la XVe) avant de passer sous le joue des ceux du Nouvel Empire.
On repère les Nubiens dans les sculptures et les bas-reliefs antiques par leurs traits physiques à l’africanisme marqué. La culture nubienne se distingue nettement des cultures égyptiennes et soudanaises modernes en possédant sa propre langue, le nobiin, une architecture spécifique, et une musique singulière. Sa reconnaissance est quasi nulle dans l’Égypte contemporaine, le combat de Fikri est de lui redonner une accessibilité.
Mais qui est Fikri ?
Fikri est naît à Abou Simbel. Pas dans le temple bien sûr, mais dans le petit village adjacent. À cette époque, il n’y avait pas de Lac Nasser, juste le Nil. Le site n’était pas alors aussi fréquenté qu’aujourd’hui, Fikri passait presque tous les jours devant les colosses de Ramsès sur le chemin de l’école. Puis le haut-barrage d’Assouan fut construit. Les eaux montèrent de 50 mètres. L’Unesco sauva le temple, mais pas le village…
Lac Nasser et Unesco
Années 60, l’Égypte de Nasser se modernise à grand pas. Elle a besoin d’énergie. Le Nil étant la source de tout, il le sera également pour l’électricité. Il est décidé de construire un haut barrage à Assouan (un premier plus modeste existait déjà). Après tout, plus au sud c’est le désert, on peut l’immerger. Ah et les temples ? l’Unesco se mobilise, un programme international inédit, 5 années pour déplacer pierre par pierre 22 monuments. Et les Nubiens ? et leurs villages ? Rien. Ils sont condamnés à quitter leurs terres et reconstruire leurs villages plus en aval. Lors de votre croisière entre Louxor et Assouan, si vous percevez au loin des villages très colorés, ce sont eux.
Un grand nombre de Nubiens partirent, le plus souvent rejoindre la Haute Egypte. Fikri, lui, partit bien plus loin, en Suisse où son père ouvrit un restaurant. C’est là-bas qu’il fit ses études : histoire de l’art, musicologie, gestion hôtelière. À l’âge adulte, il voulut remonter le courant et le temps, renouer avec ses racines nubiennes. Il abandonne le costume trois-pièces pour le turban et la djellaba de ses aïeuls. Il officia comme guide pour les touristes nombreux venus admirer le temple sauvé des eaux. Attristé de voir le village moderne comme un hub touristique, il décida de reconstruire la maison de son enfance, dans la pure tradition nubienne. Une fois réalisée, il a voulu la partager avec les voyageurs de passage, l’écolodge Eskuleh était né.
Une immersion nubienne
L’écolodge Eskuleh est une adresse d’immersion comme on les aime. Tout d’abord de part son architecture traditionnelle caractérisée par une maison composée de cours, de pièces voûtées aux murs épais et aux cloisons nombreuses pour conserver la fraîcheur. La structure est construite en brique crue faite à base de limon du Nil, difficile de faire plus local. Habituellement, les maisons sont peintes de couleurs vives, une activité réservée aux femmes. L’écolodge ne disposant pas de maîtresse de maison, il conserve sa couleur ocre naturelle, à l’image des maisons de la Nubie du Sud.
Sur place, on est hors du temps. On déambule librement de sa chambre à la bibliothèque (en grande partie francophone), de cours intérieures en terrasses sur les toits. On sirote le kawa (au gingembre), ou un limoun-nahnah(citronnade à la menthe), en admirant les rives du lac et le jardin fleuri. L’eau coulant dans les canaux d’irrigation fait office de bande son parfaitement adaptée. L’âne de Fikri se balade librement et vient de temps en temps nous tenir compagnie sur la terrasse du parvis.
Si la farniente vous pèse, les activités ne manquent pas. Fikri a son propre potager bio, sa petite ferme (poules, chèvres et biquettes), ses allées botaniques. Vous pouvez donner un coup de main. Sinon, on peut s’échapper sur le lac dans la petite barque à moteur, voir les temples d’Abou Simbel depuis l’eau, comme Pharaon quand il arrivait par le Nil pour les cérémonies annuelles, ou bien chercher les crocodiles du Nil, car c’est le dernier endroit où on en trouve encore des sauvages.
Le soir venu, l’ambiance est comme à la maison, on ne se sent pas du tout dans un hôtel. Fikri reçoit ses amis du village. Mélomanes, ils finissent le plus souvent par improviser un petit concert de musique nubienne. À table, c’est également la gastronomie locale qui prime avec des produits de première fraîcheur provenant principalement du jardin.
Finalement, c’est est le plus problématique ici, c’est de se dire qu’il faudra bien partir un jour…
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