La Franco-marocaine Leïla Slimani s’est imposée comme une nouvelle voix de la littérature francophone n’hésitant pas entre nymphomanie et coup de folie d’une nounou bien sous tout rapport.Visage juvénile entouré de boucles, l’ancienne journaliste a été couronnée jeudi par le Goncourt, le plus important prix littéraire francophone, pour son roman « Chanson douce » publié chez Gallimard. Elle est la douzième femme à recevoir ce prix depuis sa création en 1903, et est l’un des plus jeunes lauréats.
Leïla Slimani est née en 1981 à Rabat dans une famille où l’on privilégie le français, d’une mère médecin et d’un père banquier décédé il y a dix ans. Elle est venue en France faire ses études à l’âge de 17 ans. Une classe préparatoire littéraire, puis la prestigieuse école des élites, Sciences-Po Paris.La jeune femme se tourne ensuite vers le journalisme et collabore au magazine Jeune Afrique, tout en s’interrogeant sur la poursuite de sa carrière. Elle finit par démissionner et s’inscrit aux ateliers de la NRF, des cours de création littéraire organisés dans le saint des saints, le siège de la maison Gallimard, avec l’auteur Jean-Marie Laclavetine comme tuteur. Elle a déjà écrit alors une première mouture de « Dans le jardin de l’ogre », roman sur la nymphomanie, dont elle a eu l’idée peu après la naissance de son fils en suivant à la télévision l’affaire du patron du FMI, Dominique Stauss-Kahn, accusé de viol par une employée du Sofitel de New York en 2011. »J’étais fascinée, comment pouvait-on mettre ainsi sa vie en péril ? Mais je trouvais plus intéressant d’étudier cette addiction au sexe du côté d’une femme. J’ai toujours eu envie de parler de la sexualité féminine », expliquait-elle en 2014 au quotidien Libération.La nounou, personnage de romanSorte de « Madame Bovary X », selon l’expression de sa mère, le livre rencontre le succès. Même au Maroc, où le sexe est tabou. « Il a très bien marché parce que l’héroïne était une Française. Si elle avait été Maghrébine, cela aurait été une catastrophe ». Elle confirme l’essai à la rentrée 2016 en s’appuyant sur un fait divers survenu à New York en octobre 2012, où une nounou a tué les enfants dont elle avait la garde.
Le roman « Chanson douce », dédié à son fils Emile, commence par ces phrases implacables: « le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu’il n’a pas souffert ».Avec son style direct et précis, Leïla Slimani, actuellement enceinte de son deuxième enfant, raconte cette histoire atroce à la manière froide et distanciée d’un Simenon. Elle livre également une analyse sur les rapports de classes entre une famille bobo parisienne parée des meilleures intentions et la nourrice, Louise, dévouée, discrète et volontaire mais au fond, si sombre. « Le sujet est né du fait que moi-même j’ai eu des nounous dans mon enfance, j’ai été très sensible à leur place dans la maison, où elles sont à la fois comme des mères et des étrangères », a-t-elle déclaré jeudi en allant chercher son prix. »J’ai été touchée par leur place difficile, j’ai découvert qu’elles pouvaient être des personnages très romanesques », a-t-elle indiqué, aux côtés de sa mère arrivée jeudi matin du Maroc. « Elle a eu une intuition à 4h00 du matin ! », a-t-elle plaisanté.