Le général polonais Władysław Sikorski (deuxième à gauche), le Premier ministre britannique Winston Churchill et le général Charles de Gaulle, lors d'une démonstration militaire en février 1941 en Angleterre.
Le général polonais Władysław Sikorsk
Un travail ambitieux sur l'histoire du pays, et plus largement de l'Europe, dans la Seconde Guerre mondiale, vient d'être présenté à Gdansk. Désormais au pouvoir, les nationalistes menacent ce projet, initié par leurs adversaires. Voici cinq moments, parfois mal connus, racontés dans ses salles.
Donald Tusk
En 2008, le très pro-européen Donald Tusk, alors Premier ministre, avait lancé l'idée d'un musée ambitieux qui servirait à raconter l'histoire de la Pologne – et plus généralement de la partie orientale du continent – durant la Seconde Guerre mondiale, mais en n'oubliant jamais de la replacer dans un cadre global et européen.
Celui-ci vient de sortir de terre, à Gdansk, mais ne verra peut-être jamais le jour en l'état. Les populistes au pouvoir sont en train de mettre la main dessus, pour promouvoir leur vision nationaliste étroite d'une Pologne forcément héroïque et martyre, totalement coupée du reste de l'histoire du monde, et particulièrement de l'Europe.
Avant que le projet du musée ne soit dévoyé, voici ce qu'on y apprend.
Dés le début de la guerre, la Pologne n'affronte pas un ennemi, mais deux
Jusqu'au début de l'année 1939, les militaires d'extrême droite qui dirigent la Pologne jouent un jeu dangereux avec le voisin allemand : ils croient possible de s'en faire un allié. N'ont-ils pas signé avec Berlin un pacte de non-agression, puis en 1938, profité de l'effondrement de la Tchécoslovaquie pour en découper à leur profit un morceau de territoire ? Folle imprudence. Hitler finit toujours pas mordre, pour les arracher, les mains qui se sont tendues vers lui.
De son point de vue, la conquête de la Pologne est un élément essentiel du grand projet qu'il nourrit pour l'Allemagne, l'extension de son "Lebensraum", l'"espace vital", où il veut implanter en masse des colons. Par ailleurs, il est exaspéré par le "corridor de Danzig", cette bande d'accès à la mer donnée aux Polonais en 1918 qui coupe en deux la Prusse, c'est-à-dire le territoire allemand, qui s'étendait alors tout le long de la côte baltique.
Le 1er septembre, il lance ses avions et ses chars sur la Pologne. Anglais et Français qui, un an avant, avaient abandonné les Tchèques, se décident enfin à soutenir un allié. Le 3 septembre, en soutien à la Pologne, les deux puissances déclarent la guerre à l'Allemagne et aussitôt… laissent la Pologne se débrouiller toute seule. Sinon une vague offensive française sur la Sarre – vite stoppée, les états-majors jugent prudent de s'en tenir à une attitude défensive, et n'envoient nulle troupe conséquente au secours de Varsovie.
Le pays agressé, pourtant, se bat avec un courage héroïque, luttant pied à pied, défendant ville après ville, n'hésitant pas, comme on le voit sur des images célèbres, à envoyer sa cavalerie affronter les chars allemands. Et comment pourrait-il résister ? Deux semaines après l'attaque allemande entre en scène son deuxième bourreau : les Soviétiques.
La cavalerie polonaise, en septembre 1939.
A la fin août 1939, en effet, a été signé le célèbre "pacte germano-soviétique", marquant l'alliance de Staline et d'Hitler. Il comportait une clause secrète, selon laquelle les deux dictateurs avaient décidé de se partager cette partie de l'Europe. Au titre du marchandage, la Pologne était coupée en deux entre les ogres. Fin septembre, prise en tenailles entre chars russes et allemands, elle est occupée par ses deux nouveaux maîtres qui peuvent l'écraser avec une brutalité dont on a, à l'Ouest, que trop peu idée.
L'inimaginable martyre de la Pologne
Grâce au travail remarquable accompli depuis des années par de grands films (dans la lignée de "Shoah" de Claude Lanzmann) ou de grands historiens, on a désormais une idée assez nette de la façon dont les nazis ont géré ce qu'ils appelaient la "question juive" en Pologne. Pour Hitler – il l'explique dès "Mein Kampf" –, les juifs sont comparables à des "microbes" qu'il convient d'éliminer purement et simplement. En Pologne, le pays d'Europe où vivait alors la plus vaste communauté juive, cette élimination suit des phases successives. Dès 1939, les populations sont raflées et enfermées dans des ghettos, quartiers de nombreuses villes délibérément insalubres et trop petits, ce qui permet de commencer à tuer les gens de mort lente, par la faim et la maladie.
Lors du retournement de l'alliance contre les Russes et l'invasion de l'URSS, dans les territoires polonais qui étaient occupés par les Soviétiques, et aussi dans le reste de l'Ukraine, de la Biélorussie, ou des territoires baltes, les nazis procèdent à des exécutions de masse : c'est ce que l'on appelle la "Shoah par balles".
Puis, après 1942, vient la phase dite de la "solution finale", c'est-à-dire le meurtre de millions de gens dans les camps d'extermination, dont la plupart sont situés sur le territoire polonais. Partout, les Tziganes, que les nazis considèrent comme une autre "race" à éliminer de la surface de la Terre, connaissent le même sort.
Moins connu est le sort des autres populations polonaises, essentiellement catholiques, qui sont slaves. Dans la folle hiérarchie raciale d'Hitler, ces Slaves prennent place au-dessus des juifs, mais fort peu… Etres inférieurs, ils n'ont droit d'exister que pour servir les maîtres germaniques. Par ailleurs, selon les plans qu'il prévoit pour l'Europe de l'Est, le dictateur de Berlin entend faire de la majeure partie de la Pologne une terre de colonisation pour les populations allemandes. Les Polonais ont donc vocation à être éliminés, chassés, ou asservis. Dès qu'il devient le patron de la Pologne occupée, le chef nazi Hans Frank déclare : "Les Polonais doivent devenir les esclaves du Grand Reich." Toute l'action mise en place alors montre qu'il compte faire de cette assertion une vérité.
Hans Frank, "bourreau de la Pologne",
Dès 1939, toute éducation dépassant le niveau de l'école élémentaire est interdite. Collèges, lycées, universités, sont fermés, comme les théâtres, comme les bibliothèques. Et tous ceux qui ont un niveau d'instruction supérieur commencent à devenir louches, et à être déportés. Il ne s'agit pas seulement d'occuper un pays, comme cela se passe par exemple en France, il s'agit de l'éliminer en tant que nation.
Presque toujours oubliée, enfin, à cause du renversement d'alliance qui fait de l'URSS, à partir de juin 1941, le principal ennemi des Allemands, la brutalité de l'occupation soviétique de la moitié orientale de la Pologne, de septembre 1939 à juin 1941. Pendant près de deux ans, donc, alors que l'ouest du pays découvrait l'horreur nazie, l'Est endurait le cauchemar stalinien. La terreur n'était pas établie sur la même base : aux principes raciaux d'Hitler, le tyran rouge préférait la sélection selon des critères de classe sociale. Cela balayait large. Il suffisait d'avoir le baccalauréat pour être suspect aux yeux d'un agent du NKVD, la police politique communiste.
Là aussi, est mise à l'œuvre une volonté de briser un pays et d'éradiquer ses élites. Des centaines de milliers de malheureux, coupables d'avoir un diplôme ou d'avoir appartenu à un parti d'avant-guerre, sont déportés vers les camps soviétiques. L'exemple le plus fameux de la terreur stalinienne durant cette époque a lieu à Katyn, une forêt située en Russie, non loin de la frontière, en 1940 : des milliers d'officiers polonais, les mains soigneusement liées dans le dos, sont tués d'une balle dans la tête par les Russes. A l'horreur, les Soviétiques ajoutent un sens consommé du mensonge. Pendant des décennies, Moscou prétendra que ce crime a été commis par les nazis, et n'admettra la vérité qu'en 1990.
Les Polonais ont aussi leur de Gaulle et leur résistance héroïque
En 1939, alors que le pays est envahi, le gouvernement légitime fuit le pays par la Roumanie, et s'exile, d'abord en France, puis, après l'occupation de ce pays, à Londres. Le grand nom du gouvernement en exil est Sikorski (1881-1943), le de Gaulle polonais, un chef militaire admirable doublé d'un authentique démocrate, qui espérait pour son pays une après-guerre heureuse et libérée. Il ne la verra jamais.
En 1943, alors qu'il revient d'une mission d'inspection des troupes polonaises stationnées en Afrique du Nord, son avion sombre en mer, devant Gibraltar. Véritable accident, ou assassinat ? Et par qui ? Par les Russes, parce que Sikorski voulait demander des comptes à propos de Katyn ? Ou – ça a été évoqué aussi – par les Alliés, parce que la colère anti-Russes de Sikorski quand il a appris ce qui s'était passé à Katyn pouvait menacer l'alliance avec Staline ? Le point reste, jusqu'à présent, un mystère.
L
Le général polonais Wladyslaw Sikorski (deuxième à gauche),
le Premier ministre britannique Winston Churchill
et le général de Gaulle, lors d'une démonstration militaire
en février 1941 en Angleterre.
De façon générale, avec ou après Sikorski, l'apport militaire polonais à la guerre a été loin d'être négligeable. Quand Hitler attaque l'URSS, Staline s'entend avec le gouvernement en exil de Londres et fait sortir les déportés polonais des camps pour qu'ils forment une légion polonaise. Elle se bat d'abord à côté de ses troupes, puis on la retrouve sur le théâtre proche oriental. Essentiel aussi est le rôle joué par les divisions polonaises à Monte Cassino (1944), une des victoires alliées les plus difficiles lors de la libération de l'Italie.
Enfin, alors que le pays est écrasé par une occupation dont on a décrit la brutalité, une résistance intérieure se met en place avec une efficacité extraordinaire, allant jusqu'à créer un véritable Etat clandestin, qui fait fonctionner des classes, des universités et même des tribunaux.
Varsovie, ce n'est pas une insurrection, mais deux
Depuis le geste remarquable de Willy Brandt, chancelier allemand, s'inclinant devant le monument rendant hommage à ces combattants (1970), ou depuis le très beau film "le Pianiste" de Polanski (2002), nombreux sont les Occidentaux qui connaissent le grand moment d'Histoire de 1943 : l'insurrection du ghetto de Varsovie.
Le chancelier allemand Willy Brandt s'agenouille
devant le monument aux victimes du ghetto de Varsovie, le 7 décembre 1970
En avril de cette année-là, las d'être parqués comme des animaux dans des conditions ignobles, décidés à mourir les armes à la main plutôt que d'attendre d'être emmenés au bourreau, des centaines de combattants juifs, avec un héroïsme magnifique et désespéré, déclenchent un soulèvement contre les nazis et réussissent, contre toute attente, à leur résister près de trois semaines, avant d'être écrasés et assassinés jusqu'au dernier.
Des juifs polonais sont emmenés en déportation par des soldats SS, pendant la destruction du ghetto de Varsovie par les troupes allemandes,
après sa révolte en avril et mai 1943.
Il est dommage que bien moins de gens, à l'ouest de l'Europe, gardent en mémoire un autre événement important de la guerre, qui a lieu dans la même ville, un an plus tard : l'insurrection de Varsovie, en juillet 1944.
Comme à Paris en même temps, les Varsoviens, voyant peu à peu refluer l'armée allemande, songent à la libération, et, comme à Paris, sont bien décidés à y jouer un rôle. C'est essentiel pour garder sa liberté après la guerre. Hélas pour les Polonais, les choses, de leur côté de l'Europe, ne se passent pas comme de l'autre. A l'Ouest, de Gaulle, pour la France libre, et les chefs de la résistance intérieure s'entendent pour déclencher, au mois d'août 1944, une insurrection dans la capitale qui permet de faire croire à la France qu'elle s'est libérée elle-même. Le pari était risqué, il a marché : les Allemands ont quitté Paris sans le détruire et les Américains y sont arrivés aussitôt pour éviter que l'ennemi n'y revienne. |
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