Attentes démesurées aux urgences, médecins hospitaliers débordés, pression sur les généralistes…
Le National Health Service craque de toutes parts.
Une manifestation contre les coupes budgétaires
à Londres, samedi, à Londres.
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"Cela fait vingt-huit ans que je suis médecin, faites-moi confiance, le système de santé est cassé." Michela Rossi, endocrinologue dans un hôpital londonien, est animée d'une colère sourde. Dans le cortège qui défile dans le centre de la capitale samedi, sous une fine pluie glacée, le défaitisme domine. Infirmières, spécialistes et médecins généralistes font le même diagnostic : étranglé par les coupes budgétaires, le National Health Service (NHS) est à l'agonie au Royaume-Uni.
"C'est nous qui portons l'essentiel du fardeau du système de santé public britannique", témoigne le docteur Hussain Ghandi, 36 ans. La pression que subissent les cabinets des généralistes n'est pas aussi spectaculaire que la crise qui submerge les hôpitaux. Mais elle est de plus en plus intolérable. Les bons jours, il assure une trentaine de consultations. Les mauvais jours, ce médecin généraliste reçoit 60 patients.
8.000 patients par cabinet
Avec ses cinq associés, Hussain Ghandi est chargé de la santé de 10.000 patients d'un quartier très défavorisé de Nottingham, dans le centre de l'Angleterre. "Comme les gens vivent de plus en plus longtemps, nous voyons de nombreux cas complexes, explique le médecin. A cause des coupes budgétaires, nous devons aussi traiter beaucoup de personnes qui souffrent de troubles mentaux."
Entre 2010 et 2015, le budget alloué à la santé mentale a baissé de plus de 8% outre-Manche. Et la réforme des allocations sociales a conduit nombre de bénéficiaires au bord du gouffre. "Les gens n'arrivent pas à s'en sortir financièrement. Ils se scarifient et font des tentatives de suicide", déplore le docteur. Lui-même sait qu'il doit être très attentif au risque de burn-out. Dans la profession, le stress a atteint un tel niveau que les généralistes prennent leur retraite à 58 ans en moyenne. Certains renoncent même à exercer en cabinet. Voire à exercer tout court.
Taux critique d'occupation des hôpitaux
Obligée de traiter 50 patients par jour, Stephanie De Giorgio a fini par avoir "trop peur de commettre une erreur". Depuis l'automne dernier, cette ex-généraliste travaille au service des urgences du Queen Elizabeth The Queen Mother Hospital, à Margate, dans le Kent. Là, elle est chargée d'effectuer un premier tri des patients.
C'est le gouvernement qui a eu l'idée de placer des généralistes en première ligne des services d'urgence, après la crise hivernale de 2017. "Ils pensaient que les patients se présentaient aux urgences parce qu'ils n'arrivaient pas à avoir un rendez-vous avec leur généraliste, constate la quadragénaire. C'est faux. Les patients que je vois sont très malades."
"Tout le monde se démenait,
mais nous n'arrivions pas à
faire face à l'afflux de patients.
Les gens dormaient par terre"
Très malades, et très nombreux, depuis plusieurs mois déjà. A la fin de sa première journée de travail à l'hôpital de Margate, en novembre, Stephanie De Giorgio a fondu en larmes. "Tout le monde se démenait, mais nous n'arrivions pas à faire face à l'afflux de patients. Les gens dormaient par terre", se souvient-elle. A l'époque, la crise des hôpitaux ne faisait pas les gros titres de la presse. Ces derniers jours, la pression est un peu retombée. Mais la crise continue d'étouffer le NHS. Fin janvier, le taux d'occupation des hôpitaux était de 95,1%, bien au-delà de la limite de 85% fixée par le gouvernement par mesure de sécurité.
De l'intimité des patients âgés
Ceci explique en partie l'engorgement constaté dans les services d'urgence de tout le pays. A l'hôpital d'Oxford, où 300 lits ont été supprimés l'an dernier, David Bailey, infirmier aux urgences, a l'impression "d'aller au front tous les jours". "Nous voyons beaucoup de personnes âgées très fragiles, obligées d'attendre sur un brancard dans un couloir, où nous ne pouvons leur donner aucune intimité", regrette David, qui a participé à la manifestation samedi.
A bout de nerfs, le personnel de santé du NHS est très pessimiste sur l'avenir du système de santé public créé il y a soixante-dix ans. "Nous ne nous sommes jamais remis de la crise hivernale de l'an dernier, constate Nick Scriven, médecin à l'hôpital de Halifax, dans le Yorkshire. Le NHS vit un éternel hiver."
Pour sauver le NHS, dont l'accès est gratuit, les Britanniques se disent prêts à payer davantage de taxes. Theresa May refuse cependant d'augmenter le budget du service de santé public, malgré la pression exercée notamment par Boris Johnson, ministre des Affaires étrangères et "brexiter". La cheffe des conservateurs peut ignorer les demandes de ses ministres, mais quid de ses électeurs? La santé du NHS est désormais la principale préoccupation des supporters des tories. Avant le Brexit.
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